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Mon Mulhouse2
26 février 2008

Un groupe d'armement français est suspecté par la justice d'espionnage et de corruption

Un groupe d'armement français est suspecté par la justice d'espionnage et de corruption

Nom de code de l'opération :  "mission Bonaparte". But avoué, dans un courrier daté du 10 janvier 2002 :  "Entrer en contact avec les avocats et experts désignés par la partie adverse, et d'en soutirer le maximum d'informations." D'après un échange de courriers saisis par les enquêteurs, la société Eurolux Gestion, basée au Luxembourg, est chargée par la DCNI, la branche commerciale de la DCN – qui deviendra DCNS en 2007 – d'investiguer sur la procédure judiciaire et le contentieux financier lié à l'affaire des frégates de Taïwan, construites par la DCN. Un dossier dans lequel Taïwan réclame 1,2 milliard de dollars à la France. C'est Gérard-Philippe Menayas, alors directeur financier et administratif de DCNI, qui signe les courriers. Joint par Le Monde, celui-ci n'a pas souhaité faire de commentaires.

"LUSTUCRU"

Rien d'illogique, au demeurant, à ce que la DCNI veuille aussi en savoir plus sur les investigations menées par les juges Van Ruymbeke et Perraudin dans le versant judiciaire du dossier des frégates. Mais, selon l'enquête préliminaire confiée en mars 2006 aux policiers, ce sont les moyens utilisés dans ce but qui posent problème. D'autant que la DCNI, à l'époque, cherche aussi à en savoir plus sur Thales, qui s'apprête à entrer dans son capital.

A cet effet, une deuxième mission est lancée, qui répond au nom de code, selon les policiers, de "Lustucru". Pour satisfaire la DCNI, Eurolux Gestion va avoir recours aux services d'une société d'intelligence économique, MJM Partners, basée à Kourou, en Guyane.

En janvier 2006, les services fiscaux effectuent une perquisition au siège de MJM Partners, une société fondée par Michel Mauchand, 67 ans, un ancien de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), et Claude Thevenet, 58 ans, qui œuvrait, lui, à la direction de la surveillance du territoire (DST). "C'est abracadabrantesque, nous a indiqué M. Thevenet, il s'agit d'une intoxication, ma société n'a jamais commercé avec DCNI." MJM Partners est chargée de veiller à la sécurité du site de Kourou. Elle est liée à trois autres sociétés, créées par le duo Mauchand-Thevenet. Le fisc s'intéresse d'abord à des flux financiers jugés "atypiques" entre ces sociétés et découvre des abus de biens sociaux. Par ailleurs, lors de la perquisition, il découvre des propositions commerciales qui sont de réelles missions de renseignement réalisées, pour le compte, entre autres, de DCNI.

En mars 2006, une enquête préliminaire est lancée, suivie par des perquisitions à la DCN et à la DCNI. Les enquêteurs saisissent des documents : des pièces issues de procédures judiciaires auraient été acquises, contre rémunération. Il semble qu'un agent des services fiscaux ait accepté de communiquer des données bancaires confidentielles.

"REMISE GRACIEUSE"

Ces documents, émis par les sociétés des ex-espions, sont des comptes rendus de missions opérées entre 2001 et 2004 pour le compte de DCNI, via Eurolux Gestion. Les services d'anciens collègues de M.Mauchand auraient été utilisés : il précise, dans une note, que la majeure "partie des sources utilisées par nos diverses missions à l'étranger ont appartenu ou étaient d'honorables correspondants" de la DGSE.

Les enquêteurs mettent la main sur un courrier du 4 janvier 2002, adressé à Eurolux, signé par M.Menayas, qui, dans le cadre du "dossier Bonaparte", souhaite "étudier les modalités de mise en place d'un dispositif local apte à recueillir des informations juridiques et politiques". Eurolux propose en retour une mission "Méditerranée", à savoir "contacter les autorités judiciaires proches de ce dossier". Renaud Van Ruymbeke est désigné sous le nom de code "Méditerranée 1". Dans un document, la mission "Méditerranée" est jugée "fructueuse mais délicate".

Trois factures, qui établiraient les liens financiers entre Eurolux et la DCNI, sont dénichées par les policiers : 28 000 euros en janvier 2003, 28000 euros en novembre 2002, et 39 200 euros en mai 2002. Une autre facture, datée de mai 2002, porte la mention suivante : "Méditerranée 1 et 2 =remise gracieuse".

D'autres documents retrouvés en perquisition sont très précis. Le 28 février 2003, il est ainsi fait état du recrutement d'une source dans un cabinet d'avocats, avec comme objectif "la manipulation de la source recrutée". Le budget de l'opération se monte à 12 000 euros mensuels pour les "frais de manipulation".

Un compte rendu de mission daté du 17 mars 2004 parle d'une recherche sur l'ambiance "régnant au ministère de la défense, approche de personnalités (…) entourage de MAM \[Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense\]". Le 28 juillet 2004, un compte-rendu mentionne la "recherche de sources dans l'entourage immédiat de décideurs politiques français", et l'acquisition de la liste Clearstream (les listings informatiques truqués contenant les noms de personnalités, dont Nicolas Sarkozy, accusés à tort de détenir des comptes à l'étranger) "émanant des milieux judiciaires" Le 10 décembre 2004, des pièces de procédure judiciaire liées aux fichiers Clearstream, dont "la copie intégrale de l'original reçu par la justice", auraient été acquises par Eurolux, contre la somme de 18 550 euros.

Lors d'une perquisition chez Armaris, la structure d'exportation de DCNS, les policiers tombent sur des copies d'auditions du dossier Clearstream, dont celle de Renaud van Ruymbeke. Pour les enquêteurs, la DCNI a confié depuis 1994, successivement aux sociétés Heine, Eurolux et Armaris, des missions illégales de "lobbying". Un autre courrier de M.Menayas est saisi :  "J'ai mis en place l'organisation financière et juridique appropriée en vue de la gestion des réseaux internationaux, aussi bien chez DCNI que par la suite chez Armaris." Un contrat de prestations de services, entre Eurolux et DCNI, signé le 20 juin 2000, en fait foi.

Gérard Davet

DCNS affirme ne pas avoir "été informée" d'une "procédure"

                                          

Contactée par Le Monde lundi 25 février, la société DCNS n'a pas souhaité s'exprimer sur le fond du dossier. "A ce jour, nous n'avons été informés par aucune autorité judiciaire d'une éventuelle procédure contre DCNI, a-t-elle indiqué. Nous ne sommes donc pas en mesure d'apporter un quelconque commentaire à ce sujet." DCNS (tel est le nom de l'entreprise depuis avril 2007), héritière de la Direction des constructions navales (DCN), est une entreprise de droit privé depuis juin 2003. L'Etat français en est actionnaire à 75%, Thales à 25%. Après le rachat de la branche Thales naval, DCN s'est transformée en DCNS, l'expert européen des systèmes navals militaires dans tous les domaines. La société emploie 13300 personnes et réalise 2,7 milliards d'euros de chiffre d'affaires.

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