Et si on renationalisait TF1 ?
Et si on renationalisait TF1 ?
TF1, chaîne publique ? (Photo Matthieu Guérin)
Grand artisan de la privatisation de TF1 en 1986, François Léotard en
convenait lui-même lors d'une émission chez Michel Drucker, la mise en
œuvre de ce projet ne correspondait pas tout à fait, aujourd'hui, à
l'idée qu'il s'en faisait à l'époque.
Le
démographe et sociologue Emmanuel Todd a mis récemment encore plus les
pieds dans le plat en appelant à une « renationalisation de TF1 », jugeant par ailleurs « scandaleux que la chaîne privée utilise les couleurs de la République alors que le secteur public ne le fait pas ».
«
Après 20 ans d'observation, nous sommes obligés de nous poser la
question, quel est le rôle de la télévision privée dans les difficultés
éducatives que rencontrent les élèves ? L'obsession de l'audimat, la
diffusion massive de la publicité, la mise à niveau supposée du
téléspectateur etc. Si j'ai conscience que la télévision ne peut pas
avoir un contenu intellectuel fort, il doit y avoir une différence de
contenus entre la télévision publique et la télévision privée. Et la
télévision privée a fait disparaître cela » expliquait-il sur les ondes de France Inter.
Jugeant « absurde »,
la proposition du président de la République de supprimer la publicité
sur les chaines publiques, Emmanuel Todd a estimé qu'il y avait «
là une occasion de poser la question de TF1. Nous devons renverser le
problème. Compte tenu du rôle négatif joué par la télévision privée sur
l'évolution éducative de la France et du rôle perturbateur pour la
démocratie joué par TF1, je crois très sérieusement que se pose la
question de la renationalisation de TF1 pour constituer un service
public fort avec un statut proche de celui de la BBC pour assurer son
indépendance ».
Questionner la télé mercantile
Si la proposition paraît aujourd'hui insensée, Monique Dagnaud, directrice de recherche au CNRS et membre du CSA de 1991 à 1999 juge «
incontestable que la télévision dans sa globalité a modifié le rapport
au livre et à l'érudition, mais de là à dire que TF1 est à l'origine
des difficultés éducatives d'une génération, cela me paraît un peu
compliqué. C'est désigner une cible rapidement, car c'est aussi la
multiplication des chaînes commerciales. Privatiser une chaîne
existante –et la première d'entre elles-, il n'y a qu'en France que
l'on a vu ça, mais c'est tout le développement d'une télé mercantile
qu'il faut questionner. Cette vision à l'emporte pièces me paraît ne
pas comprendre ce qu'il s'est passé. Les chaînes publiques sont entrées
aussi dans ce jeu là, les émissions de Pascale Breugnot sur Antenne 2
dans les années 80 en témoignent. Il y a deux moments clés dans un tel
processus, l'avènement de la télévision elle-même et l'arrivée de la
télévision commerciale ».
Evidemment, la chaine du supposé mieux-disant culturel n'a pas tout à fait rempli son cahier des charges, mais « il a été révisé et elle a de fortes obligations en matière, par exemple, de fabrication de journaux télévisés ».
Sceptique sur la solution proposée par Emmanuel Todd, Monique Dagnaud le rejoint au moins sur un constat : «
La télévision c'est le contraire de l'école. A l ‘école, on apprend par
paliers, à la télévision, on est tout de suite confronté au monde ».
Un résultat très incertain
Au Parti Socialiste, une telle proposition relève de la patate chaude,
difficile à défendre compte tenu du poids que pèsent les médias
audiovisuels dans le jeu politique. Stéphane Pellet, secrétaire
national chargé des médias en convient : «
C'est une idée très forte sur le plan symbolique, forte aussi dans
l'énoncé mais sans doute peu efficace, très difficile à mettre en œuvre
avec des conséquences que je n'imagine pas pour un résultat très
incertain. Mais évidemment qu'à l'époque, privatiser la première chaîne
a été la pire des solutions. Cela reste, pourtant, une vision un peu
schématique. D'abord parce qu'aujourd'hui, il n'y a pas une télévision
privée, mais des télévisions privées et on remarque aussi une migration
vers d'autres écrans, donc on constate une baisse du poids de TF1. La
critique de ces médias est de plus en plus présente par d'autres biais.
L'analyse d'Emmanuel Todd est sans doute juste mais il y a d'autres
moyens de bâtir un audiovisuel public fort et innovant. D'abord en
parts de marché le rapport public-privé est plutôt équilibré. Ensuite
lors de la présidentielle, nous avons moins choisi de faire porter nos
efforts sur un combat contre les chaînes commerciales, mais plutôt sur
un renforcement du secteur public par divers modes de financements :
augmentation de l'assiette de la redevance, taxe sur la publicité et
les télécoms».
Une reprise en main nécessaire de l'Etat
Conscient de prendre ses interlocuteurs à contre-pied, par un discours
quelque peu provocateur et décalé, Emmanuel Todd a reçu dans le studio
de la station publique un accueil amusé, provoquant des rires chez les
professionnels et journalistes. Un indice du point de non-retour qu'a
atteint l'audiovisuel français. A contrario, il semble que France Inter
a reçu de très nombreux témoignages d'auditeurs favorables à la
proposition d'Emmanuel Todd. Monique Dagnaud ne s'en étonne guère :
« il y a toujours une forme de bonne volonté culturelle quand ces
propositions sont formulées. Les gens sont pour mais continuent à
regarder TF1 ». Emmanuel Todd, pour sa part, fait le pari d'un moment de crise salutaire : «
je sais que mon discours est décalé car nous vivons l'apogée de l'idée
de marché. Mais, passé le moment du « grand n'importe quoi Sarkozy » se
posera la question d'une reprise en main par l'Etat ».
Renationaliser TF1 : un train de retard ?
Sur le plan « pratique », renationaliser TF1 ne serait pas une mince
affaire : compensations pour le groupe Bouygues, remise à plat totale
du paysage audiovisuel français, nécessité de trouver de nouveaux
financements, bouleversement des rapports avec les producteurs. « Tout est envisageable » estime Monique Dagnaud, « mais le modèle européen consiste plutôt en des pôles publics forts et bien financés ».
Si la proposition a la force du symbole, et en paraît d'autant plus
sympathique, elle semble présenter une faiblesse essentielle :
s'attaquer au problème tel qu'il se présentait il y a 20 ans, au moment
même de la privatisation de la première chaîne, quand le PAF était
presque un monde tranquille. La multiplication des écrans, des moyens
de diffusion obligent désormais à dépasser le « problème » TF1
–peut-être même se règlera-t-il de lui-même- pour s'atteler à la
définition d'un plan bien plus ambitieux comprenant autant les missions
des médias audiovisuels que la maîtrise des outils numériques.
Mardi 26 Février 2008 - 00:02
Régis Soubrouillard