Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Mon Mulhouse2
4 janvier 2008

Guaino et l'Europe: étincelles en perspective

rue89_logo

Guaino et l'Europe: étincelles en perspective
                                   

      

Les éminences grises survivent rarement à leurs mentors: n’est pas Mazarin qui veut. Combien de temps Henri Guaino restera-t-il celle du Président? L’homme ne manque pas d’ennemis, mais il faut plus y voir un attribut de la fonction de conseiller politique d’un chef d’Etat que l’annonce d’une disgrâce. Si risque il y a, c’est plutôt du côté de Bruxelles qu’il faut chercher. A l'approche de la présidence française de l’Union européenne, au second semestre, la gêne suscitée par les positions du conseiller du président ira en grandissant. Car l’intéressé ne manifeste aucun signe d’apaisement de la détestation viscérale qu’il voue à la chose bruxelloise.

Une interview corrosive au Financial Times

Le 10 décembre, le Financial Times Europe a publié, sous le titre "les Français veulent une Union européenne pragmatique", une interview du "stratège politique du président " où il aborde ses deux thèmes de prédilection : la monnaie unique et la politique de la Banque centrale européenne, d’une part, et la politique de la concurrence, d’autre part, également exécrées.

L’ancien adversaire de Maastricht déclare sans surprise, que

"la France veut renforcer la gouvernance politique de la zone euro et (…) discuter de la politique monétaire car dans une démocratie, on devrait être capable de discuter de tout".

Il laisse également entendre que si, "pour le moment il n’était pas question de modifier les statuts de la BCE", cela ne saurait être exclu à l’avenir, ce qui n’a pas manqué pas de faire bêler les brebis francfortoises.

Cette interview a produit l’effet escompté, celui d’une goutte d’acide versée sur le lien ténu qui relie Paris à Berlin.

Le FT a orchestré lui-même la controverse en publiant peu après, dans son édition allemande, une réponse cinglante d’un de ses commentateurs vedettes, Wolfgang Münchau.

Plutôt quitter la zone euro et revenir au mark que d’en rendre sur l’indépendance de la Banque centrale européenne, assurait Münchau, se faisant l’écho de l’état d’esprit dominant Outre-Rhin.

Dénis de réalité

Premier déni de réalité de la part du conseiller politique du président : il ne reconnaît pas le fait que l’euro s’est fait au prix de l’indépendance de la BCE et qu'il ne survivrait pas à sa remise en cause. Déni assorti d’un mensonge par omission : le traité de Maastricht n’interdit nullement les gouvernements nationaux d’arrêter une politique de change; ceux-ci se sont abstenus de le faire jusqu’à présent, faute de consensus.

Au lieu d’avoir prolongé l’union monétaire sur le terrain fiscal et salarial, Paris et Berlin, guidés par leurs agendas politiques nationaux, ont misé sur la concurrence intra-européenne. Et à ce jeu, Berlin a nettement gagné. On peut reprocher à M. Schröder et à Mme Merkel d’avoir joué la carte nationale.Mais, si le but est de les ramener à une approche européenne, les propos de M. Guaino sont certainement contreproductifs. Ne lui en déplaise, le seul pouvoir en Europe qui raisonne actuellement en termes d’intérêt européen en matière monétaire, c’est la BCE.

Pour faire bonne mesure, M. Guaino annonce que la France n’a pas l’intention de réduire ses dépenses publiques à court terme en dépit de l’aggravation alarmante des comptes publics. De ses propos ne transpire pas le moindre soupçon d’une obligation à l’égard des autres pays de la zone euro en matière de discipline budgétaire, obligation qui est pourtant au fondement du contrat, du "pacte", par lequel, depuis 1999, 15 pays européens ont troqué leur monnaie contre l’euro.

Un paquet fiscal de 12 milliards d’euros comme celui décidé par le gouvernement avant les législatives aurait , à coup sûr, entrainé un décrochage du franc sous le régime de change quasi-flottant (le serpent monétaire) qui prévalait huit ans plus tôt. C’est exactement ce qui arriva à François Mitterrand lorsqu’à peine élu, il ouvrit grand les vannes de la dépense publique au nom, lui aussi, d’une politique de la demande. Deuxième déni de réalité de M. Guaino : en reprenant gaillardement le chemin du déficit, le président fait de son pays l’ "obligé" des autres pays de la zone euro. Sarkozy sans l’euro, c’est le Mitterrand des dévaluations. Il n’y a qu’à Paris où l’on feigne de l’ignorer.

La concurrence honnie

Reste la très détestée politique de la concurrence. Le conseiller du président assure:

"Certes, la concurrence vaut mieux qu’un monopole. Mais si vous avez une vision religieuse, dogmatique, vous allez finir par mettre l’économie européenne dans une situation d’extrême infériorité comparée à tous les autres pays".

L’un des effets du débat sur le traité constitutionnel rejeté en 2005 aura été en effet que la politique de la concurrence apparaisse comme l’expression d’un dogmatisme libéral européen, comme l’image même de l’ "Europe dont nous ne voulons pas". On ne peut pas reprocher à Henri Guaino de faire preuve d’opportunisme politique en reprenant cette idée, puisqu’il la défend depuis au moins 15 ans. A cet égard, la relecture de "L’ étrange renoncement ", son essai publié par Albin Michel en 2000 après son départ du commissariat au Plan, est éclairant.

Le débat sur la politique européenne de la concurrence, contrairement à ce qu’il laisse entendre, n’est pas interdit. La question de savoir si, en matière de concurrence entre entreprises, de subventions publiques ou de normes environnementales, l’Europe peut se montrer plus vertueuse que ses concurrents du reste du monde -qu’ils soient Américains ou Chinois- est bel et bien posée. Mais la réponse ne fait pas l’objet d’un consensus. Ce qu’en revanche nul ne songe à défendre, c’est un retour à la non-politique de la concurrence qui prévalait en France jusque dans les années 1980.

Soft power et régulation

L’Europe doit exercer son soft power (pouvoir d'influence) et amener, grâce à son poids économique, les autres pays vers son modèle de régulation, affirmait récemment encore, dans un débat, le commissaire européen Joachin Almunia. Et le secrétaire d’Etat aux affaires européennes Jean-Pierre Jouyet, qui lui faisait face, de répondre : certes, commissaire, mais en attendant que nos concurrents se montrent aussi exigeants que nous, que faisons nous?

C’est dans cet échange que se résume le débat européen, et non dans des tentatives maladroites d’affaiblir la Commission européenne dont le rigorisme heurte évidemment les Etats. Faut-il rappeler que, sans Mario Monti, le sauvetage d’Alstom aurait coûté autrement plus cher, non seulement au contribuable français, mais aussi au reste de l’Europe?

Qui est responsable des ratés français?

En quoi la politique industrielle de la France ces 20 dernières années peut-elle se prétendre exemplaire? En quoi peut-on imputer ses ratés à l’intervention de Bruxelles? La Commission, sache-t-on, n’a pas aidé l’establishment politico-financier de l’ère Mitterrand à creuser la tombe du Crédit Lyonnais. Quelle politique de champion nationaux peut-on sérieusement soutenir, quand plus de 50% du capital du CAC 40 est détenus par des investisseurs non résidents ?

La politique de la concurrence, expression de puissance

Enfin, qui peut contester que la politique de la concurrence est devenue ces dernières années une expression essentielle de la puissance européenne dans le monde? Bruxelles est en pointe pour tenter de définir les nouvelles règles du jeu dans l’économie de l’immatériel qui met à mal les anciens concepts de régulation et oblige à repenser la notion même de concurrence. Si l’Elysée a des recommandations à faire sur la question, elles seraient certainement bienvenues.

Bonnes questions, mauvaises réponses

Le problème avec Henri Guaino est que, comme avec d’autres avant lui, il pose de bonnes questions mais n’y apporte pas les bonnes réponses. Ce fils de la république hait de tout son être le monstre bureaucratique bruxellois, comme un enfant l’ogre des contes de sa grand-mère. Cette prise de position à six mois de la présidence française oblige à s’interroger sur les orientations de l’Elysée, puisqu’il est désormais admis que c’est à cela que se résume le pouvoir exécutif, en matière de politique européenne. Avec de tels arguments, on maintient le débat français sur ces questions au niveau le plus bas.

Quelles sont les positions françaises sur l'Union? 

Peu après la parution de l’interview, j’interrogeai un représentant de la République à la faveur d’un "briefing" préalable au sommet du 14 décembre. Comme celui-ci avait évoqué la publication récente par le Premier Ministre britannique d’un livre blanc sur "L’Europe et la mondialisation", je lui demandais si le gouvernement français n’aurait pas lui aussi un tel livre blanc dans ses tiroirs. Histoire d’informer le bon peuple, la presse, les gens, quoi ! La perspective de la présidence française de l’Union européenne, mais surtout le changement de locataire à l’Elysée ne justifiaient-elles pas un document un peu conséquent qui présente les positions françaises sur la politique de l’Union voire, audace extrême, les soumettent au débat public?

Ou bien, au contraire, fallait-il s’en tenir aux interviews données par le conseiller politique du président au Financial Times, pour savoir en savoir plus sur la position française concernant la construction européenne?

Puisque de toute évidence, cette politique ne s’élaborait pas au Parlement (nouvel exemple de l’anéantissement du pouvoir parlementaire sous la Vème République), puisqu’elle n’émanait aucunement de Matignon, puisque donc il semblait qu’elle provenait uniquement de l’Elysée, fallait-il en conclure qu’elle était conçue dans le bureau du conseiller politique du Président?

Le public écarté du débat

Voici ce qu’il fut répondu.

  • Premièrement, les Britanniques ont un rapport complexe à l’Union européenne qui les oblige à refaire en quelque sorte acte d’allégeance régulièrement. D’où il fallait déduire que leur livre blanc n’avait rien à voir avec une pratique politique moderne, constructive, une peu technocratique, certes, mais au moins respectueuse de l’ information du public, et non absolument rétive au débat, mais qu’il n’était que la manifestation trompeuse de la notoire duplicité britannique. Une manière un peu facile de justifier l’absence, en France, de consultation du public, de la société civile, des corps intermédiaires, consultation qui existe aussi peu dans la réalité qu’elle a été prévue formellement puisqu’elle a même son chargé de mission au cabinet du secrétaire d’Etat Jean-Pierre Jouyet.
  •   Deuxièmement, Henri Guaino est coutumier du fait. Il avait déjà donné plusieurs interviews. En clair : laissons le causer.
  • Troisièmement, le président de la République définit et conduit la politique européenne de la France. Il n’y a qu’à relire ses discours pour savoir quelle est la politique européenne de la France.

Sachant que la constitution de la Vème République prévoit que le président "définit et conduit la politique étrangère", deux options sont possibles:

Soit le politique européenne relève de la politique étrangère, ce qu’aucune personne s’étant un tant soit peu intéressée à l’agenda politique européen (politique agricole, protection de l’environnement, politique de la concurrence, immigration, etc.), et a fortiori un diplomate chevronné, ne peut sérieusement prétendre.

Soit nous avons changé de régime sans modifier la constitution.  Ce qui semble plus probable.

"l'Eysée qui décide"

"Depuis 25 ans que je suis là, c’est l’Elysée qui décide", constate amusé, un de mes collègues chevronnés. Le risque est cependant qu’en persévérant dans le déni de réalité, ce qui se décide à l’Elysée ait, au mieux, un effet d’affaiblissement sur l’action commune entre Européens, au pire, aucun effet du tout. "Guaino a son propre agenda", m’assurait pour sa part une source bien placée à la Commission européenne, "c’est d’aller à la crise". Et de refaire sonner les clairons du dogmatisme bruxellois.

Publicité
Commentaires
Mon Mulhouse2
Publicité
Archives
Derniers commentaires
Publicité