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Mon Mulhouse2
16 novembre 2007

Dans le Jura, un cuisinier libéré des conventions

lemondefr_grd

Reportage

         
Dans le Jura, un cuisinier libéré des conventions
         

LE MONDE | 14.11.07 | 13h37  •  Mis à jour le 14.11.07 | 16h04

Le château du mont Joly où officie Romuald Fassenet. | D.R.                           Le château du mont Joly où officie Romuald Fassenet.

D.R.

Romuald Fassenet, gaillard souriant et débonnaire, est un jeune chef heureux. "Je dois tout à ma clientèle", dit-il au moment de quitter le centre-ville de Dole (Jura), à l'enseigne du Bec fin, pour s'installer sur les hauteurs du village de Sampans, à quelques minutes de là, dans une gentilhommière du XVIIIe siècle.
Il lui doit même son titre de meilleur ouvrier de France (MOF 2004) puisque c'est sur ses clients de l'époque, cobayes à leur insu, qu'il testait, à chaque service, les deux plats du concours : la tourte de canard au foie gras de canard et la longe de porc. Une préparation en solitaire qui témoigne, sous le masque tranquille de l'affabilité, de la volonté exceptionnelle de ce garçon né, au hasard de l'affectation de son père, gendarme, en Meurthe-et-Moselle en 1972.

La chance aussi était au rendez-vous, car l'acquisition de cette propriété n'a été possible que parce qu'elle était en dehors du marché. Bref, voici Romuald chez lui, heureux de faire visiter son joujou avec Catherine, son épouse, sommelière et fille d'un vigneron de Château-Chalon : une salle à manger largement vitrée sur le parc, des salons au rez-de-chaussée, la vaste cuisine, les communs situés dans une aile en retour fort bien dessinée, ainsi que sept chambres, à l'étage, aménagées et décorées sans mièvrerie. L'idéal pour une retraite gourmande ou une cure (modérée) de vin jaune à 2 heures de TGV de Paris !

A l'évidence, pour Romuald Fassenet, le bonheur est dans le pré. Coqs et poules, pattes bleues, plumage d'un blanc éclatant, crêtes de feu, sont issus de la Bresse toute proche, entre Bourgogne et Jura. Cette volaille robuste appartient au genre Gallus, et à la race gauloise, dite "bresse de variété blanche", AOC depuis un demi-siècle (décret de 1957). Le chapon est un poulet castré, la poularde une femelle pas encore capable de pondre. C'est précisément tout au long de la fracture géologique séparant la Bresse du Jura, sur le Revermont, que s'étend le vignoble, sur près de 80 km, d'Arbois jusqu'aux confins du Mâconnais, dont la plus fameuse appellation est château-chalon. La rencontre entre ce vin et la volaille de Bresse, grand classique de la cuisine franc-comtoise, inspire au jeune Romuald Fassenet un épatant suprême de volaille de Bresse en vessie façon "percée du vin jaune", dont le mode de cuisson garantit l'extrême onctuosité et auquel l'assaisonnement au curry confère une touche de modernité tempérée, très justement revendiquée par les cuisiniers de la nouvelle génération. Le vin jaune fait le reste, aidé par la morille. La longue période d'élevage de ce vin en atmosphère oxydative sous voile lui donne une couleur jaune plus ou moins intense, des arômes ténus et insistants de noix verte, d'amande grillée, de morille et parfois de pain d'épices, soutenus par une acidité un peu vive qui, parfois, désarçonne le néophyte. Dans ce plat, chaque saveur est distincte, chaque produit identifiable ; l'ensemble est gourmand. "Je veux faire une cuisine simple à comprendre, même si elle est parfois compliquée à réaliser", dit encore le chef, en présentant un plat d'escargots du Jura et chanterelles, huile de persil et lait d'absinthe, autre plat-clé de sa carte, riche aussi en crustacés, poissons (admirable sandre de Saône) et gibiers de saison (lièvre, chevreuil). En s'affranchissant des conventions de la crème et des liaisons riches avec la volaille au vin jaune, de l'ail avec les escargots, comme des touches de gelée ou de mousses qui font tendance, Romuald Fassenet confie à chaque produit le soin de structurer ses plats, d'y remplir tout son rôle, rien que son rôle. L'on songe à la cuisine de Philippe Rochat, jurassien lui aussi, mais installé à Lausanne, qui revendique un travail "invisible".

Une étoile Michelin est venue, en 2006, récompenser le jeune MOF 2004. D'autres devraient suivre, car s'il est une voie qui permet tout à la fois de concilier sensualité, vision moderne de la cuisine et respect du client - non obligatoirement soumis à un exercice de pyrotechnie -, c'est bien celle suivie jusque-là par le jeune Franc-Comtois.

Son parcours l'y conduisait naturellement. Son grand-père, agriculteur à Marnay (Haute-Saône), avait initié le jeune garçon aux joies du jardinage. Ecole hôtelière de Poligny, premier poste de commis à l'Auberge du Mont, service militaire dans les cuisines de Matignon, le voici bientôt à Bangkok. Il entre à La Tour d'argent où Manuel Martinez, grand saucier, en fait un chef de partie. En 1995-1996, Romuald Fassenet est chef à La Bonne Soupe du bon Jean-Paul Picot, le plus vieux bistrot français de Manhattan. Il revient à Paris auprès d'Alain Soliverès aux Elysées du Vernet, avant de rentrer au pays, chez Jean-Paul Jeunet, à Arbois, en qualité de second, lequel lui apprend à concilier la transmission et ses grands principes avec les produits du terroir. Exercice acrobatique toujours parfaitement réussi à Arbois, que Romuald Fassenet exécute aujourd'hui avec une passion communicative qu'il a su transmettre à sa brigade, à ses fournisseurs locaux et aussi à ses clients.


Château du Mont Joly, 6, rue du Mont-Joly, 39100 Sampans. Tél. : 03-84-82-43-43. Restaurant fermé le mardi et le mercredi. Hôtel (ch. à partir de 90 €) : ouvert tous les jours. Menus : 30 € (midi sauf dimanche).

Jean-Claude Ribaut

Article paru dans l'édition du 15.11.07.

         

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