La crise de la gauche : le choc avec le libéralisme (3)
La crise de la gauche : le choc avec le libéralisme (3)
Comme ces dynasties fatiguées qui tombent en quenouille, l'histoire du
parti socialiste a abouti à Ségolène Royal. Elle qui avait soutenu avec
ardeur la candidature ultra-européenne de Jacques Delors en 1995,
résumait sur le plan économique les contradictions du socialisme
pro-européen et mondialiste : la difficulté de présenter un projet
alternatif sur le plan économique. Elle incarnait certes mieux que
d'autres, par son image de femme libérée, l'avatar libertaire de la
social-démocratie mais elle le faisait à un moment où la gauche perdait
sa spécificité dans ce domaine. Faute de pouvoir de manière crédible
revenir aux fondamentaux de la gauche historique : la réduction des
inégalités, la lutte contre les puissances d'argent, notamment dans la
presse, il ne lui restait à se singulariser que par un « plus social »,
en matière d'aide à l'enfance, d'enseignement, d'allocations et donc de
dépenses publiques ignorant la crise profonde de l'Etat-providence. Une
crise qui conduit les classes moyennes menacées de prolétarisation et
ce qui reste de la classe ouvrière (les « travailleurs pauvres »
récemment redécouverts par les statisticiens) à rejeter tout ce qui
peut passer pour un excès de social, toute politique trop généreuse en
faveur des exclus. Parce qu'ils ressentent confusément que ce sont eux
et non les vrais riches qui vont en payer le prix, parce que passé un
certain seuil, la redistribution en faveur du bas de l'échelle est
vécue comme injuste par ceux qui travaillent. Même sur le terrain
social, qui avait été longtemps le sien, la gauche en est venue à
exaspérer la classe ouvrière !
Sarkozy a réussi son opération de brouillage
En se présentant comme le candidat de « la France qui travaille »,
Nicolas Sarkozy a bien perçu la faille d'une surenchère sociale par
rapport au sentiment populaire dominant, même si on se demande encore
par quoi va se traduire cette prise de position.
Qu'à l'inverse de tous ses prédécesseurs, Mme Royal ait
néanmoins pris le pouvoir au PS par la droite, en insistant sur la
sécurité et les valeurs patriotiques marque aussi une époque nouvelle.
Mais sur ces thèmes, en phase avec les aspirations du peuple réel, la
gauche se trouve, à l'évidence, en déficit de crédibilité.
En définitive l'alignement de la gauche sur les politiques
économiques de droite et celui de la droite sur les valeurs sociétales
de gauche aboutissent à une indifférenciation des valeurs politiques
que l'univers des médias, lui-même fondé sur l'équivalence généralisée
des valeurs, ne peut que ratifier. Un des objectifs, parfaitement
atteint, de Sarkozy quand il a fait appel à des hommes de gauche était
de mener à son terme ce travail de subversion du sens,
d'indifférenciation droite-gauche. Dans cette nouvelle donne, la
compétition pour le pouvoir est devenue un concours de mode dont la
presse people est l'arbitre. Si la gauche en tant que classe ou
idéologie ne peut être à ce jeu que perdante, la gauche en tant que
syndicat d'intérêts électoraux ou faction (au sens que ce mot avait
dans les républiques italiennes du Moyen-Age) a encore quelque chance
de revanche si d'aventure elle se trouve un leader qui fasse plus «
mode » que celui de la droite. Le succès de Tony Blair n'eut pas
d'autre base. C'est un peu ce qui se trouvait sous-jacent dans la
candidature atypique de Ségolène Royal. C'est le facteur mode qui lui a
permis de surclasser aisément à la « primaire » ses rivaux socialistes.
Mais à ce jeu, elle s'est trouvée elle-même surclassée en finale.
Fin de partie ?
Que le projet social-démocrate ait perdu largement son sens au sein
d'une économie mondialisée, qu'il ne puisse s'accomplir qu'à l'abri
d'un sas douanier ou à la rigueur monétaire, c'est ce qu'avaient
compris depuis longtemps les amis de Jean-Pierre Chevènement. C'est
aussi ce qu'a perçu Laurent Fabius quand il a refusé en 2005 la
Constitution européenne au nom d'une Europe sociale bien différente de
celle qui est promue aujourd'hui à Bruxelles.
Jean-Pierre Chevènement a échoué en 2002 à accéder au
second tour des présidentielles. Laurent Fabius n'est pas allé jusqu'au
bout de sa démarche référendaire qui eût été de présenter sa
candidature aux présidentielles de 2007 en dehors du Parti socialiste :
en rupture avec ce qui avait été la logique doctrinale du parti
socialiste depuis 1945, il n'a pas osé l'être avec sa logique
d'appareil.
Il est vrai que tout candidat de gauche qui prendrait le
risque de remettre en cause la logique mondialiste ferait sans nul
doute l'objet d'un tir serré des media, sur le thème de la ringardise,
au même titre que ceux qui l'ont tenté à droite. Or, nous l'avons
montré, il est désormais mortel de ne pas être fashionable.
Entre l'acceptation du libéralisme international, dont la
machine européenne n'est plus que le relais et qui ne laisse guère
d'espace à une authentique politique de gauche et les positions de
refus radical du libéralisme promues par les chapelles d'extrême
gauche, dont la crédibilité est proche de zéro, il n'y a plus guère
d'espace.
Il se peut que la gauche française soit comme ces étoiles
qui continuent de briller faiblement dans le ciel du fait de la
distance et de la force d'inertie mais qui sont en réalité des astres
éteints.
Mercredi 17 Octobre 2007 - 11:07
Roland Hureaux