Au Danemark, le chômage de longue durée ne touche qu’une personne sur cinq. Les entreprises embauchent massivement et la négociation collective prend le pas sur la législation pour réguler le marché du travail. Environ 80% des salariés sont affiliés à un syndicat qui affectionne le compromis et évite le conflit et les grèves. Les jeunes trouvent facilement un emploi à la sortie des études, même s’ils doivent transiter par plusieurs postes de courtes durées avant de connaître la stabilité. Au vu de ces résultats, l’on comprend que la formule séduise…

Mais en quoi consiste la « flexisécurité » ?

Il s’agit d’associer une grande flexibilité à un niveau de protection sociale élevé et un système d’insertion et de formation efficace pour tous les demandeurs d’emploi.

Mais pour appliquer ce modèle, il ne s’agit pas de n’en appliquer qu’un pan au profit de la seule flexibilité. Pour qu’il provoque les mêmes effets, il faut analyser le contexte politique et social qui les a permis.

Au Danemark, l’investissement public dans le domaine social est considérable. « Ce modèle universaliste a pour principe d’offrir des prestations sociales indépendantes des cotisations, une couverture universelle et uniforme, un transfert entre les différentes catégories de risques, et un refinancement par le biais de l’impôt » (ESPING-ANDERSEN Gosta, Les trois mondes de l’Etat-Providence, PUF, 1999). Le poids des recettes publiques est supérieur à 50% du PIB, comme dans d’autres pays nordiques (Finlande, Suède, Norvège). Avec un fort degré de solidarité et d’égalité, ils sont les pays où l’écart des revenus entre les 10% les plus riches et les 10% les plus pauvres est le plus faible(GADREY Jean, économiste, in « Politis », 16 juin 2005) .

Au Danemark, les politiques de formation et d’éducation sont très efficaces. Un système de crèches et de garderies publiques performant a permis aux femmes de pénétrer le marché de l’emploi plus tôt et plus massivement qu’en France, les discriminations de genre y sont moins nombreuses et l’économie de services y est mieux développée. « Un autre point sans doute essentiel des réformes danoises est la simplification du système de promotion de l’emploi, toutes les mesures s’adressant aux chômeurs comme celles des destinées aux bénéficiaires de l’aide sociale étant regroupé au sein d’un ministère de l’Emploi, mettant l’accent sur les capacités de la personne plutôt que sur son statut. » (de HESSELLE Laure, « De la stabilité à la flexsécurité », in Imagine, demain le monde, septembre-octobre 2005)

Oui mais…

Le mot d’ordre étant de laisser l’employeur libre d’embaucher et de licencier, le marché du travail danois se situe parmi les plus flexibles de l’OCDE. Le patron n’a aucune indemnité à payer quand il licencie un salarié de moins de 12 ans d’ancienneté, il doit un mois de salaire lorsqu’il s’agit d’un salarié de 12 à 15 ans d’ancienneté et deux mois au-delà. Le préavis varie de quelques jours à quelques mois mais le plus souvent, il est de 2 à 3 semaines. La déréglementation du travail aboutit à une absence de restriction concernant le temps de travail, les entreprises peuvent travailler 24h/24 et 365 jours par an (STELLINGER Anna in « Société Civile » n°41, sur ifap.org).

30% des salariés sont contraints de changer de travail chaque année, ce qui égale le niveau de « job rotation » des Etats-Unis ou du Royaume-Uni. Le taux de chômage danois ne comptabilise que les demandeurs d’emploi non-occupés sur la population active de 2,5 millions de personnes mais en réalité, 500000 Danois se retrouvent chaque année en période appelée pudiquement « d’activation », soit 20% de la population active ! VERDI, « Le modèle danois n’est pas un paradis », extrait du site internet actuchomage.org)

La pression que subissent les chômeurs est constante, avec obligation de suivre une formation ou des stages, interdiction de refuser plus de deux offres d’emploi sous peine de suppression des allocations. Le régime danois maintient l’allocation de chômage à 90% du salaire perdu mais depuis 1993, son versement est limité à 4 ans.

A la place de politiques dynamiques de l’emploi, ce sont des réformes structurelles du marché du travail, du temps de travail ou d’indemnisation des allocataires sociaux qui s’installent. Elles appellent à toujours plus de flexibilité d’une part et accentue la compétition entre les travailleurs d’autre part.

Il est urgent de conditionner les réductions de cotisations patronales à des créations d’emplois convenables dans les entreprises qui en bénéficient. La sauvegarde de l’emploi existant ne suffit plus à justifier les milliards d’euros que représentent ces « cadeaux aux employeurs ». Une priorité devrait être donnée à l’évaluation de ces mesures et à leur effet concret sur le taux d’emploi.

Si la flexisécurité peut devenir une piste de réflexion concrète, le système doit être examiné sous tous les angles et ne pas être transposé « à la va vite » pour dépanner un gouvernement à court de solutions politiques. Le modèle danois a le mérite de dédramatiser les périodes de chômage grâce à la protection sociale qu’il garantit mais la société danoise se différencie du contexte français par plusieurs aspects. De plus, le revers de la médaille que constitue le volet « flexibilité accrue des travailleurs » doit nécessairement être encadré par des politiques d’enseignement, de formation et d’insertion socioprofessionnelle performantes.