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21 décembre 2007

Les germanophones, des Belges heureux

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Une rue d'Eupen, l'un des deux cantons germanophones de l'est de la Belgique. | D.R.

D.R.

Une rue d'Eupen, l'un des deux cantons germanophones de l'est de la Belgique.

          

Reportage

         
Les germanophones, des Belges heureux
         

LE MONDE | 21.12.07 | 15h14  •  Mis à jour le 21.12.07 | 20h31         

EUPEN (BELGIQUE) ENVOYÉE SPÉCIALE

D.R.


                                                  

Il faut placer la loupe sur la carte, comme au début d'un album d'Astérix. Dans l'est de la Belgique, nichés entre l'Allemagne et le Luxembourg, deux tout petits cantons résistent encore et toujours à la crise : celle d'un pays menacé d'éclatement, en proie à une fronde indépendantiste flamande, et dont la nouvelle coalition au pouvoir semble une rustine de secours sur un Etat fédéral titubant, après cinq mois sans gouvernement.

 

Là vivent 74 000 Belges de langue allemande, troisième communauté linguistique de Belgique après les néerlandophones et les francophones : la communauté germanophone ("CG"). D'eux, on dit qu'ils sont les plus belges des Belges, les meilleurs Belges, les plus heureux des Belges... ou, commencent à croire les plus pessimistes, les derniers Belges.

"N'allez pas nous les exciter, pour une fois qu'on en a des calmes !", s'inquiète, à Liège, l'employée de chez Avis, en tendant les clés d'une voiture de location. Vus de la grande ville de Wallonie, à une cinquantaine de kilomètres à peine, ces germanophones de Belgique semblent de sympathiques martiens. "Rien à voir avec nous ! Là-bas, prévient l'employée, tout est propre, nickel, vous ne verrez pas traîner de canettes de bière comme ici. Ils sont toujours ponctuels..."

Ils ont aussi fermement conservé de vieilles traditions germaniques, comme ce carnaval d'avant-mardi gras, où les femmes prennent le contrôle des mairies et coupent les cravates des hommes qu'elles croisent sous l'oeil d'un maître de carnaval coiffé d'un bonnet à hautes plumes.

Quant au roi, il est accueilli en communauté germanophone avec une ferveur sans pareille en Belgique.

Ces Belges si parfaits habitent le canton d'Eupen (au nord) et celui de Saint-Vith (au sud), séparés par le point culminant de la Belgique (694 mètres), avec ses deux ou trois pistes de ski "alpin" où se précipitent chaque hiver Belges et Néerlandais affamés de relief. L'allemand est la langue administrative mais les neuf communes de la CG sont "à facilités" (tenues d'accorder des facilités linguistiques aux francophones). Tout le monde parle un français impeccable, certains y ajoutent le néerlandais et les plus anciens, les patois locaux, entre le néerlandais et le luxembourgeois.

Pas de risque d'"exciter" leur indépendantisme. La Belgique, ils l'aiment. Pour une bonne raison : ils lui doivent tout. Les germanophones de Belgique, pas plus de 0,7 % de la population belge, ont droit à un gouvernement (quatre ministres), un Parlement (25 sièges), deux représentants fédéraux (une députée et un sénateur), et même un député européen.

Ils bénéficient d'une dotation fédérale supérieure à la répartition que devrait leur valoir superficie et nombre d'habitants. Aucune minorité linguistique en Europe ne peut se prévaloir d'autant d'autonomie.

Etat dans l'Etat, la petite CG a tiré avantage de deux contingences historiques : son rattachement à la Belgique par le traité de Versailles de 1920, puis la fédéralisation du pays destinée à régler les conflits entre Flamands et Wallons. Par souci d'équité entre les trois communautés linguistiques, les transferts de compétences successifs qui relevaient de l'Etat fédéral ou des régions lui ont bénéficié. Déjà autonome dans des matières comme l'enseignement, la culture, la politique de l'emploi ou le financement des communes, la CG souhaiterait le devenir dans d'autres domaines, tels l'urbanisme ou l'aménagement du territoire. Certains souhaitent l'autonomie fiscale.

Ce sont des Belges heureux qui ne connaissent pas, comme les Flamands et les francophones de la périphérie de Bruxelles, cette "guerre des langues" si déterminante dans la crise belge. Ils ne sont représentés par aucun parti d'extrême droite, comme le puissant Vlaams Belang en Flandre ou le petit Front national wallon. Ils ignorent totalement les difficultés économiques de la Wallonie, principal motif d'exaspération des Flamands envers l'Etat fédéral solidaire. Peu de chômage en CG (6,7 %, contre 13 % en Belgique), et moins encore dans le canton de Saint-Vith (2,5 % chez les hommes), à cause de l'attrait qu'exercent sur les travailleurs les facilités fiscales du Luxembourg voisin. Le niveau des élèves (classement Pisa 2007) y est supérieur à la moyenne belge.

Le tissu économique diversifié composé à 86 % de petites et moyennes entreprises rend la CG plus à l'aise dans la globalisation. Sa situation frontalière et le multilinguisme des salariés favorisent la flexibilité sur le marché des pays voisins, comme la mobilité des entreprises et des travailleurs : 10 000 "navetiers" quittent quotidiennement la communauté germanophone pour travailler au-delà des frontières, et à l'inverse 4 000 "navetiers" habitant le reste de la Belgique (essentiellement la Wallonie) sont employés en CG. 45 % de la production des entreprises est vouée à l'exportation.

Cette situation de plein-emploi est paradoxalement la seule inquiétude qu'expriment les acteurs économiques de la CG : "L'absence de main-d'oeuvre est une gêne pour les investisseurs, explique Volker Klinges, directeur de la chambre de commerce et d'industrie. A plus long terme, cela peut être un frein à la croissance."

La fin de la Belgique ? En communauté germanophone, on se résigne douloureusement à évoquer d'éventuels scénarios. Les germanophones de Belgique ont beau lire les journaux allemands, regarder la télévision allemande et se sentir plus chez eux à Cologne qu'à Liège, rares sont ceux qui aimeraient se retrouver dans les frontières allemandes, aux confins du pays, confondus dans les faubourgs d'Aix-la-Chapelle (à 15 kilomètres d'Eupen).

L'hypothèse la moins inconfortable serait celle d'un rattachement de la CG au grand-duché de Luxembourg. "Mais nous sommes partisans inconditionnels du maintien de l'Etat belge", insiste Karl-Heinz Lambertz, ministre-président du gouvernement de CG. Tout en précisant qu'avec leurs 854 kilomètres carrés, les deux cantons sont tout de même deux fois plus grands que le Liechtenstein.

Marion Van Renterghem

Article paru dans l'édition du 22.12.07

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