Le peuple victime d'un vice du consentement ?
Le peuple victime d'un vice du consentement ?
Pendant la campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy défendait l'idée d'un « traité simplifié », précisant même : «
je proposerai que soit posé le principe que ceux qui veulent agir ne
puissent pas en être empêchés par ceux qui ne veulent rien faire. Et
qu'à l'inverse nul ne soit obligé d'agir quand il ne le souhaite pas. »
(Ensemble, p.102). C'est en d'autres termes l'Europe à la carte avec
des institutions souples permettant de fonctionner à Vingt-Sept et
plus, en préservant la souveraineté des Etats, donc la démocratie.
Pourtant, le traité qu'il a approuvé à
Lisbonne est aux antipodes de ces louables intentions. C'est un mécano
d'une complexité juridique rare, ignorant les principes de clarté et
d'intelligibilité de la loi et recyclant la quasi totalité des
dispositions de la Constitution européenne massivement rejetée par le
peuple français il y a deux ans. Comme l'a rappelé Valéry Giscard
d'Estaing « seul l'ordre a été changé dans la boite à outils, la boite elle-même a été redécorée ».
Aucune des critiques adressées à la Constitution européenne ne peut être épargnée au traité de Lisbonne :
1) La consécration de la primauté absolue des lois européennes (déjà
85% de notre droit), s'imposant même à la Constitution française,
laquelle ne fera par exemple plus obstacle à ce que la Cour de
Luxembourg réintroduise le principe du pays d'origine dans la Directive
Bolkestein (Déclaration N°29) ;
2) Le plus important transfert de
souveraineté de toute l'histoire de la construction européenne : 40
nouvelles compétences passent sous la haute main de la Commission de
Bruxelles qui a le monopole des propositions, auxquelles le Conseil ne
peut guère résister (amendement à l'unanimité) et les adopte à la
majorité qualifiée ;
3) Les procédures de « clauses
passerelles » qui permettent sans nouvelle ratification de faire
basculer de nouvelles matières de l'unanimité à la majorité qualifiée,
donnant en définitive à la Commission et la Cour une compétence
illimitée ;
4) Les parlements nationaux, seuls
sièges de la légitimité démocratique justifiant l'obéissance à la loi,
qui deviennent des coquilles vides, avec un seul droit, celui de
protester (Protocole n°1), tandis que le Parlement européen
représentera non plus « les peuples des Etats » (art 189, Rome) mais un
peuple européen parfaitement mythique (art 9 A) ;
5) La Charte qui ouvre un véritable
geyser de droits en tous genres et contradictoires, armant les juges de
Luxembourg pour dévoyer, sans appel possible, nos droits de l'homme et
libertés fondamentales séculaires, que protégeait jusqu'ici le
préambule de la Constitution française (art 6) ;
6) La personnalité juridique de
l'Union qui permettra à la Commission de Bruxelles, où la France se
retrouvera vite sans représentant (art 9 D) de se substituer totalement
aux Etats sur la scène internationale dans ses nombreux domaines de
compétence exclusive (art 54) ;
7) Un « Président du Conseil » nommé
pour deux ans et un Ministre des Affaires étrangères avec un autre nom
(« Haut Représentant ») et des services diplomatiques (article 25 et
suivants) qui proposera une politique étrangère votée à la majorité
qualifiée, mettra le siège français au Conseil de Sécurité sous tutelle
(art 19) et induira une défense européenne ayant pour cadre l'OTAN (art
27 ) ;
8) Une conception dogmatique de la
concurrence et du libre-échange sans contrepoids (Protocole n°6), une
Banque centrale au statut identique interdisant le pilotage de la zone
euro ;
9) L'absence de limitation géographique et civilisationnelle de l'UE, laissant ouverte la porte à la Turquie ;
10) Et pour conclure, tout l'effrayant imbroglio d'institutions du
triangle Bruxelles-Luxembourg-Francfort, qui ne connaissent pas les
principes de la démocratie : ni la séparation des pouvoirs, ni la
responsabilité politique, ni la représentation des peuples.
Il n'y a manifestement rien de commun
entre cette Constitution européenne remaquillée et le traité simplifié
et consensuel que promettait Nicolas Sarkozy pendant la campagne pour « réconcilier le "oui" et le "non" »,
justifiant sans doute une ratification parlementaire plutôt qu'un
nouveau référendum. On peut donc se demander s'il n'y aurait pas vice
de consentement des Français qui se sont déterminés lors de l'élection
présidentielle, s'il leur refusait un référendum sur ce traité-clone de
la Constitution européenne rejetée. L'opinion publique semble
d'ailleurs fortement le souhaiter : 71%, selon un sondage IFOP publié
le 8/11 par Paris Match. A moins de considérer que précisément, la
réponse des Français ayant été négative il y a deux ans, il est inutile
de leur redemander leur avis sur le même texte et qu'il faut procéder
par un passage en force parlementaire ?
Ce que le peuple a fait, seul le
peuple peut le défaire. Seul un nouveau référendum pourrait donc
éventuellement annuler le résultat du 29 mai 2005, si telle est
l'intention présidentielle. La mission du Président de la République
est de veiller au « respect » de notre Constitution, d'assurer le «
fonctionnement régulier des pouvoirs publics » et la « continuité de
l'Etat », ainsi que de « garantir l'indépendance nationale » (article
5). En particulier, il est le garant du principe de la République qui
est « gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple » (article
2 al. 5). Aussi, s'il ne veut pas ignorer le suffrage universel et la
Constitution dont il procède lui-même, il doit au minimum inviter les
Français à se prononcer directement sur le Traité de Lisbonne.
Consulter le site de l'Observatoire de l'Europe après le non.
Samedi 17 Novembre 2007 - 00:03
Christophe Beaudoin et Patrick Louis