La grève toussote, la CGT négocie, le mouvement étudiant se développe
La grève toussote, la CGT négocie, le mouvement étudiant se développe
La deuxième journée de mobilisation contre les régimes spéciaux s'est avérée moins concluante que celle du 18 octobre.
Dans l'Energie, on a compté environ 37% de grévistes à EDF et GDF
(contre 53% le 18). A la SNCF, la direction a compté 61,5% de grévistes
(contre 73,5%) et 20% à 25% des trains ont circulé en moyenne, avec
seulement 90 TGV sur 700, dix trains Corail et un trafic TER très
perturbé. A la RATP, la direction a comptabilisé 44% de grévistes
mercredi (contre 58% le 18) et le trafic s'est « légèrement amélioré »
au fil de la journée tout en restant «fortement perturbé».
Pour jeudi, la grève a été reconduite
dans les transports et la RATP comme la SNCF prévoient un trafic encore
très perturbé avec quelques améliorations. Mais la décision de la CGT
d'accepter des négociations, entreprise par entreprise, avec la
présence de membres du gouvernement, constitue un vrai tournant dans la
mobilisation. D'ailleurs, la tonalité des dirigeants syndicaux et celle
du gouvernement laissent entrevoir une issue rapide au conflit.
D'autant que la direction de la SNCF, qui prévoit une réunion de
négociations dès le jeudi 15 novembre, comme celle de la RATP, annonce
des « propositions très significatives ».
En réalité, ni les syndicats, qui ont et vont obtenir des concessions
importantes, ni le gouvernement qui a bien mis en scène la première
épreuve sociale de Nicolas Sarkozy, ne voient désormais leur intérêt
dans la poursuite de la grève.
Du coup, ce sont les étudiants qui risquent d'être pris à revers par le revirement de la CGT. «Extrêmement minoritaire». C'est
ce qu'a dit François Fillon, mardi soir sur TF1, pour qualifier le
mouvement étudiant contre la loi Pécresse, ajoutant que les
revendications «ne sont pas fondées». Pourtant,
ce mercredi 14 novembre, premier jour de la grève reconductible des
cheminots et des agents EDF, neuf facs, dont Paris VII et III, ont
rejoint la contestation, portant à 36 le nombre de sites bloqués. 30
000 étudiants auraient été présents en assemblées générales mardi,
contre 17 000 lundi. Le mouvement s'est donc fortement amplifié malgré
l'opposition des « anti-grève ». A Rennes II, la majorité des étudiants
s'était prononcée, lundi, contre le blocage et à Nanterre, les anti et
pro grève se sont affrontés, obligeant la présence de CRS. De plus,
sept des huit présidents des universités parisiennes se sont prononcés
contre les actions étudiantes et en faveur de la loi. Dans une tribune
du Monde (de jeudi 15 novembre, ils ont déclaré qu'il serait totalement
irresponsable de remettre en cause les mesures de la réforme sur
l'autonomisation des universités, mesures qu'ils qualifient « d'avancées décisives ». Valérie
Pécresse a quant à elle annoncé, mercredi après-midi, qu'elle recevrait
jeudi les cinq organisations étudiantes, dont l'Unef, ainsi que la
Conférence des présidents d'universités. Cette annonce est pour Bruno
Julliard, président de l'Unef, « un signe d'ouverture » et une manière de contredire les propos de François Fillon en prouvant que «ce n'est pas un mouvement minoritaire et extrémiste.»
Les syndicats et les étudiants restent néanmoins prudents et attendent
de voir ce que donnera concrètement cette rencontre dont l'issue peut
être déterminante pour la suite du mouvement.
« Nous ne sommes pas de la chair à patrons »
Entre 1000 et 2000 étudiants se sont joints à la manifestation des
régimes spéciaux ce mercredi à Paris devant la tour Montparnasse. Ils
se disent solidaires des revendications des cheminots et des agents EDF
et RATP, mais, comme le montrent leurs slogans, ils sont restés
fortement focalisés sur la loi Pécresse : « Pas de facs d'élites, pas de facs poubelles, à bas les facs concurrentielles ! », « Contre la LRU, tous dans la rue ! » scandent-ils, ou encore « Nous ne sommes pas de la chair à patrons ! »
Manuel a vingt ans, il est étudiant à Paris VIII, en licence de
Sciences Humaines et fait partie de ceux qui, depuis dix jours,
bloquent le site de Saint-Denis. «Je suis pour la convergence des luttes» nous dit-il pour expliquer sa présence ici aujourd'hui au côté des cheminots, «c'est
un mouvement social, pas contre Sarkozy, mais pour défendre, tout comme
les régimes spéciaux, nos droits d'étudiants. Je suis inquiet, si les
droits d'inscriptions augmentent comme ailleurs en Europe, je devrais
alors arrêter mes études.»
«Je militais déjà dans le ventre de ma mère !»
Laura a elle, 17 ans, elle est en terminale littéraire au lycée Victor
Hugo à Paris et milite aux Jeunesses Communistes depuis trois ans. Un
keffieh autour du cou, «par solidarité avec le peuple palestinien», debout sur un camion, elle hurle dans un mégaphone pour entraîner ses camarades. «Je militais déja dans le ventre de ma mère !» s'exclame-t-elle très fière.
«J'ai essayé plusieurs partis, le PS, les Communistes révolutionnaires
mais ce sont les Jeunesses communistes qui m'ont convaincue, je suis
maintenant responsable lycéens pour Paris.» Sa conscience politique se serait éveillée après le référendum sur le traité européen, «j'ai alors compris que les syndicats et les associations pouvaient changer les choses.» Elle veut lancer un grand mouvement lycéen et informer le plus possible sur la loi parce que «c'est avec des arguments construits que nous vaincrons le Gouvernement. Les actions dans la rue ne suffisent pas.»
Louisa est en France depuis trois mois. Elle vient du Chili et a voulu venir étudier à Paris «
pour une éducation gratuite pour tous. Dans mon pays, la fac coûte 4000
euros par an, j'ai choisi la France pour son université publique, mais
on dirait que ça va changer » dit-elle dans un français parfait. Elle porte une pancarte où est inscrit «Une réforme de plus ? Non ! Le décret de mort du savoir.» Elle veut pouvoir continuer à faire des études «
juste pour apprendre. On dirait que la vie maintenant c'est uniquement
gagner de l'argent et avoir une maison. Je veux apprendre pour le
plaisir du savoir.» idéalise-t-elle. Elle n'est pas syndiquée
mais se mobilise et organise les barrages filtrants de sa fac, Paris
VIII, ainsi que des ateliers pour remplacer les cours, «ce sont des cours alternatifs, où l'on débat sur la réforme.»
Au départ du cortège, c'est au tour de Marie, militante à l'Unef, de prendre la parole devant les étudiants, «L'autonomie des facs, c'est tous dans la merde sauf pour ceux qui ont de l'argent !» Marie est en doctorat de sociologie à Paris VII et milite à l'Unef et à la LCR depuis six ans. «J'ai commencé à militer en 2002, lorsque Le Pen est arrivé au second tour.» Elle veut devenir chercheur-enseignant mais craint de ne pas y arriver si la loi n'est pas abrogée. «L'exemple du CPE nous donne confiance. Notre pouvoir ce n'est évidemment pas de bloquer le pays économiquement mais d'éveiller les consciences. En plus, si les cheminots gagnent c'est tout bénef' pour nous. Dans le cas contraire ? Nous serons encore plus motivés.»Plus motivés ? A voir : pour le mouvement étudiant, la négociation entamée aujourd'hui au ministère du Travail, si elle se concluait, rendrait la tâche plus difficile aux animateurs, souvent très anti-Sarkozy, d'un mouvement qui tentait tout juste de prendre son élan.
Jeudi 15 Novembre 2007 - 00:02
Pauline Delassus