Jean-Marc Sylvestre, un prof d'économie désespéré !
Jean-Marc Sylvestre, un prof d'économie désespéré !
Nous ne le savions pas, mais nous sommes tous des élèves de Jean-Marc
Sylvestre. Précisons : de «mauvais élèves», des cancres même, dont se
plaint l'instit de l'économie dès les premières pages de son livre : «La
vérité est très simple. Une petite moitié des Français est sincèrement
convaincue que les mécanismes économiques lui sont totalement
étrangers. Quoi qu'ils fassent, ils n'y comprendront jamais rien.
L'économie, ce n'est pas pour eux, mais pour les autres, ceux qui
savent et dirigent. Les clercs. Tous pourris et tous complices. Dans
ces conditions, il ne faut pas s'étonner que ces mêmes Français n'en
pincent que pour les trente-cinq heures, les assurances maladies, les
congés payés, et un peu de pouvoir d'achat.»
Les
Français sont donc nuls en économie. Pourtant, rien de plus simple que
l'économie à la façon Sylvestre, docteur en économie, comme il est
écrit sur la quatrième de couverture du livre. Il suffit de respecter
quelques principes tout bêtes :
1) L'économie c'est d'abord du bon sens.
«Le travail crée du travail. L'activité suscite des embauches.» ; «La révolution technologique bouleverse la vie des hommes» . Ca c'est vrai qu'il faut être économiste pour y penser. Ou encore : «Quand on aime trop on étouffe»(à
propos des hommes politiques et des PME). Pour bien se faire comprendre
de ses auditeurs et de ses lecteurs, Sylvestre raffole des métaphores,
médicales notamment : «Ce n'est pas en cassant le thermomètre qu'on guérit un malade» ; «Quand l'Amérique prend froid, c'est l'Europe qui tombe malade » ; variante, «quand l'Amérique s'enrhume, l'Europe prend froid».
2) Les puissants et les riches ont toujours raison.
Les grandes entreprises font des superprofits ? Grand bien leur fasse !
La Chine fabrique tous nos biens manufacturés ? De toute façon, nous ne
pouvons plus rien fabriquer par nous-mêmes. Edf atteint 200 milliards
de capitalisation boursière ? Ça prouve bien qu'il faut la privatiser !
L'Amérique vit à crédit, cumulant déficits budgétaire et commercial ?
Elle aurait tort de s'en priver puisqu'elle peut l'imposer au monde
entier…
3) Les hommes politiques sont des nazes !
Le populisme sylvestrien n'y va pas par quatre chemins. Les politiques
sont démagogiques parce qu'ils accusent l'euro d'être responsable de la
croissance molle et du chômage ; les socialistes mentent aux adhérents
quand leurs «collègues» anglais ou suédois disent la vérité ; les
programmes des trois principaux candidats (Sarkozy, Royal et Bayrou)
étaient pétris de contradictions. Etc, etc. Bref, la politique est dans
le mensonge, alors que l'économie c'est la vérité des chiffres.
Muni de ce bréviaire à trois strophes,
Jean-Marc Sylvestre n'a aucun mal à nous faire la leçon tous les jours
sur TF1 et sur France Inter. Il a même oublié cet épisode qui date de
quelques années, lorsque, sauvé, après un grave accident de santé, par
la célérité du Samu et la compétence de l'hôpital public, le hussard
noir de l'économie avait eu quelques mots de gratitude pour un service
public sur lequel il avait pris l'habitude de conchier depuis des
années. Les Français devront, assène-t-il, accepter aussi de payer pour
leur santé », eux qui dépensent «des fortunes en téléphone portable, en écran de télévision plasma, en billet de TGV et en entretien de voiture».
Vous avez, bien entendu ? Fini de rigoler ! C'est qu'ils sont fainéants
ces bougres de Français ! Zont intérêt à acheter mon bouquin. Sinon, je
double dose chaque matin ! Allez, ouste, à la Fnac, et que ça saute !
Petites leçons d'économie à la portée de tous, par Jean-Marc Sylvestre, 356 p., Buchet Chastel, 15 €.
Quelques perles du livre de Jean-Marc Sylvestre
- L'Allemagne réussit à percer le marché chinois, pas nous
(p.22) : A longueur de page, Jean-Marc Sylvestre nous fait l'éloge du
modèle allemand, après avoir fait celui de la Suède, de la Hollande et
de la Grande Bretagne. Alors que la raison pour laquelle les Allemands
exportent mieux que les Français est connue par n'importe quel étudiant
de première année en économie : la spécialisation de l'Allemagne est la
machine-outil et les équipements que les Chinois sont pour le moment
incapables de fabriquer eux-mêmes. Les Allemands ne vendent pas aux
Chinois parce qu'ils sont plus compétitifs (le coût du travail en
Allemagne est sensiblement le même qu'en France) mais parce qu'ils
n'ont pas de concurrents sérieux dans leurs domaines d'excellence. On
le voit bien puisque la Chine achète tout de même de l'Areva et du
Veolia.
- Il
faut donc disposer des moyens financiers que seuls peuvent mobiliser
des groupes mondiaux qui font appel au marché financier international
(p. 92). Il y a bien longtemps que les groupes en question ne vont plus
à la Bourse pour financer leur développement. Ohé, Sylvestre, on n'est
plus au temps d'Adam Smith!
- A propos de l'entrée en Bourse d'EDF : une cagnotte de quelque quatre vingt-sept milliards d'euros en novembre 2006, environ le double à l'été 2007
(p. 93). Une cagnotte ? Mais il s'agit du capital d'une entreprise
publique, et non de profits ou de dividendes. Pour que ça devienne une
cagnotte, il faudrait vendre les actions et privatiser. C'est
d'ailleurs bien ce que souhaite le prof Sylvestre!
- Si
les pays développés veulent garder une activité industrielle
importante, ils doivent se concentrer sur les activités de luxe et à
haute valeur ajoutée (p. 132). Donc, vive LVMH ! vive Gucci !
Vive Fauchon ! Vive Berlutti et Charvet ! Sylvestre est en phase avec
l'ineffable ministre des Finances Christine Lagarde qui pense elle
aussi que la France doit se concentrer sur son domaine d'excellence le
luxe. Le luxe, aussi, de se payer dix millions de chômeurs en plus à la
place de ceux qui ne travaillent pas dans le luxe...
- ... pour que cette démocratie financière, comme disait Marx (p.
191). Si le philosophe allemand a parlé de démocratie financière, il
faut nous préciser dans quel livre.... A priori ce terme n'existait pas
au siècle de Marx.
Lundi 12 Novembre 2007 - 00:01
Philippe Cohen