Rions un peu…
Rions un peu…
Grenelle de l'environnement, disent-ils. Soit. Mais un peu d'histoire
s'impose pour la jeunesse. L'intitulé de ces vastes débats et
rencontres autour des enjeux écologiques fait allusion aux accords de
Grenelle négociés les 25 et 26 mai 1968 par le gouvernement Pompidou,
les syndicats et les organisations patronales. Conclus le 27, ils
aboutirent notamment à une augmentation de 25 % du salaire minimum et à
une baisse du temps de travail. De fait, les accords de Grenelle
marquèrent la fin du mouvement de mai 68 ainsi que le sacrifice de ses
revendications libertaires et révolutionnaires sur l'autel de la raison
économique et sociale. Car les ouvriers en grève – à l'inverse des
étudiants et des gauchistes essentiellement issus de la bourgeoisie –
voulaient d'abord du pouvoir d'achat et de meilleures conditions de
travail, non la remise en cause d'une société qualifiée justement «de
consommation» ou d'un ordre politique dominé par le gaullisme et le
communisme (la SFIO était alors moribonde et le PS n'existait pas).
Dans la foulée des accords de Grenelle, les Français allaient profiter
des derniers feux des Trente Glorieuses au grand dam des plus enragés
des soixante-huitards auxquels Marcel Jouhandeau avait lancé : «Vous finirez tous notaires !» Publicitaires, journalistes ou patrons, eut été plus exact, mais c'est une autre histoire.
Ce bref rappel pour éclairer le curieux «parrainage» de notre grand
forum sur les questions écologiques placé donc symboliquement sous le
signe de la consommation et du pouvoir d'achat. Nous sommes ainsi
passés chez nous au «Grenelle de l'environnement» en sautant la case
«mai 68 de l'environnement» et l'on voit aujourd'hui un gouvernement de
droite mettre en place une réflexion et une batterie de mesures
(inoffensives mais visibles) qu'aucun autre gouvernement n'avait osé
initier. La faute à nos écologistes professionnels qui, depuis des
années, noient leur message environnemental sous les engagements
politiques dont on ne cerne guère l'enjeu écologique (voir, par
exemple, l'enthousiasme de nombre de Verts lors des bombardements de
l'OTAN - assez peu respectueux de la nature et des humains - sur la
Yougoslavie en 1999…).
De manière plus générale, on a entendu nos boutiquiers
politiciens écolos à propos des sans-papiers, du mariage homosexuel ou
des marchandages électoraux avec le PS. Rarement à propos de
l'écologie. Nulle surprise alors à ce qu'un employé de TF1 et de
Rhône-Poulenc, M. Hulot, les ait supplantés médiatiquement et
politiquement le temps d'une campagne présidentielle… Quant aux
écologistes les plus radicaux, type arracheurs d'OGM, ils sont tout
aussi pathétiques. Ces arrachages, certes illégaux, peuvent se
légitimer à condition que leurs auteurs assument leurs actes, ne
pleurnichent pas ensuite devant les journalistes et les juges tout en
quémandant des grâces présidentielles.
Qui a éteint les lumières ?
Face à ce désert écologique, une nouvelle race d'écolos a surgi :
people, artistes, leaders d'opinion, voire même un ancien numéro 2 (Al
Gore) de l'un des pays les plus pollueurs de la planète… Dans la droite
ligne de cette écologie-spectacle s'inscrit le grand Barnum du Grenelle
de l'environnement. Au terme de multiples et médiatiques débats, le
gouvernement a présenté un catalogue de bonnes intentions et de
promesses, parmi lesquelles la mise en place d'une taxe carbone. Mieux
que rien, diront certains, mais pas grand-chose de plus que rien avec
des «objectifs» très modestes : 6% de cultures bio pour les surfaces
agricoles utiles d'ici 2012, suspension de la culture des seuls OGM
pesticides, un repas issu de l'agriculture biologique une fois par
semaine dans les cantines publiques…
À l'image de ce repas hebdomadaire
«sain» perdu dans un quotidien de bouffe industrielle, on a
l'impression d'assister là à une vaste opération de communication
politique masquant son cynisme dans la bonne conscience affichée, comme
en témoignait l'opération «5 minutes de répit pour la planète»
du mardi 23 octobre appelant les Français à éteindre leurs lumières
durant cinq minutes avant 20 heures… Donnant l'exemple, l'Élysée a
plongé dans le noir ses couloirs, son vestibule et ses bureaux. Même la
petite lumière placée sous le drapeau flottant sur le plateau
présidentiel avait été éteinte…
Au-delà de ces simagrées qui font rire ou pleurer, selon
l'humeur de l'instant, la morale des promoteurs et acteurs du Grenelle
de l'environnement peut se résumer au bulletin de victoire annoncé par
Laurence Parisot du Medef se félicitant que le raout ait permis «d'intégrer l'impératif économique et l'impératif écologique». Magnifique exemple de novlangue orwellienne que l'on rangera aux côtés du «développement durable», des «bombardements humanitaires» et autres «guerres propres»
tant cet art de marier les contraires traduit la tragédie de l'époque :
déplorer des maux et des conséquences dont on persiste à vouloir les
causes.
Cette fuite en avant du «développement» et de la
«croissance» est abordée dans le formidable dernier essai de
Jean-Claude Michéa, L'Empire du moindre mal, où l'on peut lire un
extrait d'un discours de Robert Kennedy, peu avant son assassinat, sur
le PIB : «Notre
PIB prend en compte, dans ses calculs, la pollution de l'air, la
publicité pour le tabac et les courses des ambulances qui ramassent les
blessés sur la route (…) Il intègre la destruction de nos forêts de
séquoias ainsi que leur remplacement par un urbanisme tentaculaire et
chaotique (…) En revanche, le PIB ne tient pas compte de la santé de
nos enfants, de la qualité de leur instruction, ni de la gaieté de
leurs jeux. Il ne mesure pas la beauté de notre poésie ou la solidité
de nos mariages. Il ne songe pas à évaluer la qualité de nos débats
politiques ou l'intégrité de nos représentants. Il ne prend pas en
considération notre courage, notre sagesse ou notre culture. Il ne dit
rien de notre sens de la compassion ou du dévouement envers notre pays.
En un mot, le PIB mesure tout, sauf ce qui fait que la vie vaut la
peine d'être vécue.»
En fait, le seul discours
écologiste responsable et réaliste consisterait, par exemple, à dire
que lorsque deux milliards d'Indiens et de Chinois auront chacun leur
voiture tandis que les enfants repus de l'Occident continueront de se
promener en 4x4, il n'y aura plus besoin de Grenelle de l'environnement
ni de célébrer les noces de l'économie et de l'écologie. Plus rien ne
sera même nécessaire car nous serons tous morts. Eteignons donc les
lumières cinq minutes et rions un peu en attendant la mort…
Dimanche 04 Novembre 2007 - 07:40
Christian Authier