ADN, Guaino, la rechute finale de la gauche ?
ADN, Guaino, la rechute finale de la gauche ?
Nous vous parlons d'un temps que les moins de vingt ans peuvent très
bien connaître. Paris en ce temps-là - l'hiver 1997 - voyait défiler
contre les lois Pasqua-Debré des milliers de manifestants partis de la
gare de l'Est, dont certains, pas les plus discrets, arboraient au
revers de leur veston une étoile jaune et portaient des valises ou des
pijamas rayés. Les arrestations d'étrangers en situation irrégulière
étaient des «rafles», leur expulsion du pays des «déportations» et
Pasqua et Debré des quasi-nazis. Quelques anciens déportés
protestèrent, expliquant le danger de banalisation des crimes nazis
dont témoignaient ces enflures verbales. Leur voix était un murmure, et
on ne les écouta point. Là aussi, comme aujourd'hui, Libération,
dirigé déjà par Laurent Joffrin, avait pris la tête de la révolte.
Puis, il y a eu la suite. La dissolution de l'Assemblée nationale. La
victoire de la gauche aux législatives de 1997 sur un discours ambigu,
eurosceptique et anti-néolibéral de socialistes soudain gauchis.
L'impasse de l'anti-racisme
Ensuite sont venues les reculades de Jospin. À Amsterdam, à
Renault-Vilvorde, chez Michelin. L'erreur fatale des 35 heures. La
poudre aux yeux des emplois-jeunes. La défaite de 2002, enfin. Parce
que, comme l'a écrit Roland Hureaux dans ces colonnes,
la gauche ne retrouvera pas une identité ailleurs que dans la lutte des
classes et le social. Parce que, sur le terrain sociétal, elle peinera
à se distinguer des libéraux de droite.
On le voit bien aujourd'hui : s'ils n'ont pas tous fait le
déplacement au meeting anti-ADN du Zénith (voir ci-dessous le reportage
de Sylvain Lapoix), beaucoup d'hommes politiques de droite sont
hostiles à l'amendement sur l'ADN. De Charles Pasqua (quelle ironie de
l'histoire, le facho de 1997!) à Dominique de Villepin en passant par
plusieurs ministres du gouvernement, l'amendement Mariani est très loin
de faire l'unanimité à droite, et on ne serait guère étonné de voir le
gouvernement reculer sur cette affaire. Pour une raison simple :
l'usage de l'ADN renvoie à une conception effectivement restrictive de
la famille, réduite à la filiation biologique. Par ailleurs, elle passe
sans doute à côté des filières d'immigration clandestine fondées,
elles, sur le trafic de faux papiers d'identité, dont le développement
inquiète de plus en plus les services de police dans tous les pays
européens.
.
Mais si cette mesure contre l'une
des fraudes à l'immigration est maladroite, elle n'a pas forcément de
contenu idéologique avéré puisque la plupart des autres pays européens
permettent aux candidats à l'immigration familiale, en particulier
quand ils viennent de pays où les registres d'état-civil sont sommaires
ou peu fiables, d'utiliser ce test pour prouver leur bonne foi. L'usage
même de tests ADN n'est pas scandaleux en soi puisque, comme l'explique
très bien Anne-Marie Le Pourhiet (voir Marianne TV), beaucoup de
plaignants l'exigent devant les tribunaux, notamment dans les recours
en paternité. La vérité est que le même problème se pose dans toute
l'Europe : le néolibéralisme a imposé la libre circulation des capitaux
et des marchandises, et il souhaite à présent imposer la libre
circulation des hommes, qui anéantit toute régulation sociale en
imposant une concurrence sauvage sur le marché du travail.
Un silence assourdissant sur le plan social
La gauche a décidé de tonner très fort contre ce test ADN destiné aux
immigrants du regroupement familial. Pourtant, ce ne sont pas les
sujets qui manquent pour s'opposer au pouvoir sarkozyste, y compris au
nom de ce que l'on veut croire être encore les principes et les idées
de la gauche. Celle-ci pourrait s'opposer aux franchises médicales, qui
sont un vrai coup de poignard dans le principe d'égalité. ; exiger la
suppression définitive des stocks-options et de toute rémunération sans
charges patronales ; s'opposer à ce projet ultralibéral, lancé, qui
plus est, par l'un des siens, Jacques Attali, et qui entend supprimer
toute règle dans la négociation entre producteurs et distributeurs au
moment où cinq enseignes françaises dominent 80% du marché des produits
alimentaires. La gauche pourrait aussi exiger un transfert des charges
sur la TVA qui favorise l'emploi en aidant les entreprises de
main-d'œuvre au détriment des entreprises vivant des importations, ou,
si cette option ne lui convient pas, proposer des mesures destinées à
lutter contre les délocalisations.
Mais non ! Tous ces sujets
n'intéressent pas Laurent Joffrin, Philippe Val, BHL et ceux qui, à
gauche, entonnent à nouveau la rengaine usée de l'antiracisme et de
l'antifascisme, qui fera le jeu de Sarkozy comme elle fit naguère celui
de Le Pen.
Quand on entend Philippe Val tonner, trois chroniques de
France Inter successives, contre l'amendement Mariani, qui ne
concernera que quelques centaines de candidats à l'immigration par an
et l'interpréter comme un revival « royaliste » et « xénophobe », on se
pince…
Quand on écoute BHL traiter Henri Guaino, le conseiller
spécial de Nicolas Sarkozy de raciste pour le discours prononcé à Dakar
par Nicolas Sarkozy, on a envie de crier au fou.... Première remarque,
ce discours a été signé et prononcé par Nicolas Sarkozy. BHL aurait-il
donc peur du Président pour s'en prendre à celui qui l'aide à faire ses
discours ? Ou bien pense-t-il que les hommes politiques, et en tout cas
Nicolas Sarkozy, ne sont que des pantins articulés par leurs
conseillers ? Deuxième observation, si le discours de Dakar est fort
contestable en ce qu'il homogénéise une Afrique plus diverse qu'il ne
la laisse transparaître, il n'est en rien raciste si l'on veut bien
situer la phrase sur « l'homme africain » dans son contexte, et lire le
reste du texte qui revient sur l'esclavage et le colonialisme.
De l'ADN considéré comme une loi qui rappelle « les heures les plus noires de notre histoire »
à l'accusation contre Henri Guaino, celle contre Jean-Pierre
Chevènement (traité de « maurassien »), tout se passe comme si la
gauche, mal en point depuis la victoire de Sarkozy mais incapable d'un
examen rationnel et critique de son bilan, était frappée de rechute.
Comme si le Zénith, dix ans après, marquait cette même impuissance à
combattre la droite autrement que sur le terrain sociétal. Et comme si
le chant de l'antiracisme, fièrement claironné par les trompettes
bhliennes, redevenait cet hiver la complainte du socialisme des
imbéciles, comme l'avaient justement nommé Pierre André Taguieff et
Alain Finkielkraut…
Lundi 15 Octobre 2007 - 00:01
Philippe Cohen