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Mon Mulhouse2
27 février 2008

Sarkozy et l'Afrique: retour sur un rendez-vous raté

Sarkozy et l'Afrique: retour sur un rendez-vous raté
                                   

      

Dans son discours à Dakar cet été, le Président dissertait sur les handicaps de "l'homme africain". Deux livres lui répondent.

Nicolas Sarkozy lors de son discours à Dakar le 26 juillet (Pascal Rossignol/Reuters).

Voici deux livres que Nicolas Sarkozy pourrait utilement consulter ce mercredi, pendant les quelques heures de vol entre Paris et N'Djaména. Deux ouvrages qui le flatteront: ils ont tous deux été écrits en réaction à son discours de Dakar l'an dernier, qui avait déjà fait couler pas mal d'encre. Mais qui l'agaceront, aussi, assurément car ce sont d'implacables réquisitoires contre ce rendez-vous manqué de Nicolas Sarkozy avec l'Afrique.

Les titres sont eux-mêmes explicites: "L'Afrique répond à Sarkozy, Contre le discours de Dakar", rédigé par un collectif d'intellectuels africains, et "L'Afrique humiliée", signé par Aminata Traoré, ancienne ministre malienne de la Culture, devenue l'une des intellectuelles africains les plus engagées en faveur d'une "rupture mentale" entre le continent noir et l'ancienne puissance coloniale.

Le passage qui avait le plus choqué, c'est évidemment le passage où Nicolas Sarkozy explique aux Africains que "le drame de l'Afrique, c'est que l'homme africain n'est pas assez entré dans l'Histoire. (...) Dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n'y a de place ni pour l'aventure humaine, ni pour l'idée de progrès". L'"homme africain" n'a pas apprécié.

"La francophonie, escroquerie planétaire"

Le paradoxe de "L'Afrique répond à Sarkozy", c'est qu'il n'a pas été écrit que par de jeunes excités anti-Sarko, que l'on pourrait laisser à leur marginalité. Au contraire: le coordinateur de l'ouvrage, Makhily Gassama, fut conseiller du président sénégalais Léopold Sedar Senghor et responsable de plusieurs instances de la Francophonie. Il est également professeur de lettres, animateur de radio...

C'est dire que sur la relation franco-africaine, il a tout vu. Or, sous sa plume, on tombe sur ce jugement sur "le vaste mensonge de la francophonie, cette honteuse escroquerie planétaire".

De tous ces textes, ce qui ressort c'est à quel point Nicolas Sarkozy a raté une magnifique occasion de rompre avec plusieurs décennies de ce qu'on a baptisé du méchant mot de "Françafrique". Pendant la campagne électorale, il avait promis cette "rupture", y compris sur la politique africaine, et son ministre de la coopération, Jean-Marie Bockel, s'est exclamé en janvier dans Le Monde: "La Françafrique est moribonde. Je veux signer son acte de décès." Et d’exprimer son impatience vis-à-vis d’une "rupture [qui] tarde à venir".

Comme l'écrit l'un des contributeurs du livre, Mwatha Musanji Ngalasso, professeur de sociolinguistique à Bordeaux3, "on attendait (...) la rupture. Ce fut la cassure":

"Nicolas Sarkozy a rassuré les pouvoirs en place. Mais il s'est aliéné les jeunes, les dirigeants de demain. Rarement président français aura fédéré autant de voix contre lui, tant il a été critiqué, conspué, vilipendé au sein même du “pré carré“ francophone."

Ce linguiste a trouvé le discours "arrogant", "paternaliste", "néocolonialiste", "fumeux", "archaïque", "ringard", "démagogique à souhait", etc. Fermez le ban. Excessif? Injuste? Ces lignes doivent être prises pour ce qu'elles montrent: la blessure ouverte par un discours (dû à la plume du conseiller de l'Elysée, Henri Guaino) à côté de la plaque.

Aminata Traoré et le racisme de l'Occident

Chez Aminata Traoré aussi, les mots sont rageurs. Ecrits vite, parfois mal, ils disent sa colère après le discours de Dakar.

Abordant pêle-mêle l'immigration choisie, Brice Hortefeux, le Mali, sa production de coton et les clandestins de Ceuta, Aminata Traoré désigne le mal par un mot simple: racisme. L'Occident n'aime pas les Noirs, le président français a transmis. Ses phrases dégoulinaient, écrit-elle, de condescendance et d'ignorance. Parfois de cynisme.

Lorsqu'il a assuré à la jeunesse africaine qu'elle n'était pas une oubliée de l'aventure humaine, Nicolas Sarkozy oubliait alors ceux qu'il jette dehors, ceux qu'il empêche de voyager, ceux qui sont mis au ban des sociétés blanches.

De longs passages sont consacrés aux parcours de ces jeunes maliens ou sénégalais, morts pour avoir tenté de quitter l'Afrique. Parfois sous les balles des policiers aux frontières entre le Maroc et l'Espagne. Ce qu'elle appelle "la sous-traitance de la violence" au Maghreb est ce que l'Europe désigne comme la lutte commune de la Méditerranée contre l'immigration illégale.

Elle observe qu'après son allocution, certains ont applaudi Nicolas Sarkozy. Une réaction analysée comme un syndrome du "bourreau aimé et révéré". Au coeur de la singulière relation entre la France et l'Afrique, Aminata Traoré dénonce cet indépassable mépris des uns et ce surprenant déni de l'autre:

"Le pire est que nous, Africains, ne voulons souvent pas admettre la résurgence du racisme anti-Noirs, de peur de devoir se battre contre un adversaire redoutable parce que extrêmement puissant: la France et l’Europe unies dans un même combat."

Après ce mauvais départ, Nicolas Sarkozy peut-il retrouver les voies et moyen d'un dialogue avec l'Afrique et les Africains? Ce n'est pas son escale tchadienne qui l'y aidera: son principal objectif est d'obtenir la grâce d'Idriss Deby pour les six membres de l'Arche de Zoé, un événement qui a, là encore, choqué de nombreux africains et brouillé l'image de l'ancienne puissance coloniale, prédatrice enrobée de bons sentiments. Et le soutien à un autocrate arrivé au pouvoir par les armes, alors que règne encore la plus grande incertitude sur le sort d'opposants civils disparus pendant les récents combats, n'est pas de nature à assurer la moindre "rupture".

Renouer avec l'Afrique devrait pourtant être une priorité de la diplomatie sarkozyenne, à condition que Paris soit vraiment capable de tourner la page de la Françafrique.

Zineb Dryef et Pierre Haski

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