RATP : caisses et pataquès
RATP : caisses et pataquès
(Photo Phil h, flickr, cc)
Une rumeur court au sein du personnel de quai de la RATP, qui semble le
réjouir... Les caisses seraient prochainement de retour. Bonne nouvelle
– pour les clients de même - si elle est confirmée ? Petit rappel des
faits pour le savoir : depuis bientôt neuf mois, les guichets du Métro
parisien sont privés de caisse(s) et de personnel dédié à leur
fonctionnement (prise de commande et encaissement) ; en lieu et place,
on trouve des « comptoirs d'information » c'est-à-dire des espaces
conçus non pour délivrer des titres de transport mais pour renseigner
les clients. Renseigner seulement ? Mais alors... pour les tickets, on
fait comment ? Pas de problème ! De splendides automates vous délivrent
vos titres de transport sur demande.
Enfin presque... Car avec dextérité, il vous faut jouer du
rouleau – la commande qui permet de déplacer un curseur – puis
sélectionner et valider un choix dans un menu, ou plus exactement dans
une série de menus qui défilent sur un écran. L'agilité des doigts est
recommandée ainsi que la compréhension de la logique propre aux
technologies de l'informatique. Quant au paiement, glisser pièces ou
billets dans une fente s'avère souvent fastidieux et « chronophage ».
Dés lors, le résultat ne s'est pas fait attendre. En effet, hors les
réactions de rejet - émanant de publics ne goûtant pas l'automatisation
: personnes âgées, individus maîtrisant mal ou peu la langue française,
étrangers et touristes de passage à Paris – des phénomènes de queues et
autres files d'attente ont fait leur apparition, suscitant le
mécontentement des clients. Et, ironie du sort, ce qui avait été
initialement conçu pour permettre de gagner du temps se révèle être un
système qui en fait perdre dans plus d'un cas notamment lorsque le
personnel de la RATP doit donner un cours d'utilisation des machines à
quelqu'un, ce qui, immanquablement, provoque un ralentissement du flux
des acheteurs devant l'automate.
Une nouvelle race de technocrates
Que dire de ce paradoxe ? Qu'il traduit une réalité propre aux
organisations complexes que sont les grandes entreprises en général, et
les services publics dont la mission est celle du transport en
particulier, à savoir que certaines décisions émanent d'une nouvelle
race de technocrates : les analystes des besoins et du mental des
clients, grands connaisseurs (en principe !) de ce qui se trame dans la
tête, pour ne pas dire « l'âme » du consommateur. Ce, sans forcément -
voire très rarement – connaître ledit client et expérimenter, à sa
place et dans les mêmes conditions que lui, le produit qu'il utilise.
(Photo Daquella Manera, flickr, cc)
Ces savants, ces brillants théoriciens supputent, imaginent, modélisent
et conçoivent, loin du terrain et de ses réalités, des solutions qui
n'en sont pas. Remplis de certitude mais dépourvus de bon sens,
endoctrinés (la plupart au sein des « Sup de Co ») à coup de théories
fumeuses où domine le management libéral, ils prônent la communication
et la rentabilité mais engendrent plus sûrement le compliqué et
l'inadéquat.
Car après tout, le Métro et le RER, c'est simple. Que
veulent les usagers/clients ? Ni communication ni conseil toutes les
cinq minutes, contrairement à ce que disent les enquêtes sur leurs
soi-disant attentes et les enseignements (à courte vue) qui en ont été
tirés. Alors que veulent réellement les usagers/clients ? Aller vite et
en sécurité et ne pas attendre dans des lieux sales. Que faut-il pour
cela ? Des caisses et des guichetiers, des rames ou des trains, des
personnels de surveillance et d'entretien.
Le tout ... en (très) grand nombre.
La « privatisation des esprits » est en marche
Pour l'avoir ignoré, la RATP va sans doute être contrainte de
réinstaller ses caisses et remettre en poste des guichetiers pour les
faire fonctionner. Et à la dépense (en dizaines et dizaines de milliers
d'euros) occasionnée par la désinstallation des caisses et de leur
système et réseau se rajouterait celle du sens contraire : les remettre
et réintroduire des organisations du travail intégrant à nouveau le
métier de caissier et son temps de disponibilité pour encaisser et
délivrer des titres de transport.
Au-delà de cet exemple – presqu'anecdotique – limité à la
seule RATP se pose le problème de l'évolution générale des modes de
gestion des services publics de plus en plus impactés par une
privatisation rampante, celle des esprits notamment, exigeant
efficacité (souvent apparente mais pas si réelle ni si opérationnelle
que cela sur le long terme) et rentabilité aux allures de réduction des
coûts fleurant bon le cost killing
et utilisant notamment la sous-traitance vers le secteur privé à tour
de bras. Même l'armée subit le même sort, subissant les affres de
livraison et dotation de matériels – habillement de terrain et combat
notamment – très peu voire pas satisfaisantes.
Certes, ce n'est pas parce que l'on affaire au service
public qu'il faut ériger inefficacité, gaspillage en ligne voire
doctrine de conduite. Mais l'excès inverse qui consiste à introduire
partout et en tout du « tout management » méconnait fondamentalement
une réalité de cette activité au service du public : apporter une
prestation utile – mission d'intérêt général - réalisée dans des
conditions d'organisation et de rentabilité autres que celle de
l'initiative privée fondée uniquement sur le souci du lucre et de la
rentabilité.
Lundi 25 Février 2008 - 00:11
Jean-Louis Denier