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Mon Mulhouse2
19 février 2008

Mémoire des enfants juifs : trois intellectuels réagissent

Mémoire des enfants juifs : trois intellectuels réagissent 

Rony Brauman et Patrick Weil contestent fermement la décision du chef de l'Etat, Alain Finkielkraut s'inquiète lui de la polémique provoquée.



Rony Brauman ©Flickr

Rony Brauman ©Flickr

La mémoire des enfants juifs pourrait être honorée en classe. C'est ce qu'a annoncé Nicolas Sarkozy le 13 février lors du dîner du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), précisant que chaque élève de CM2 se verrait confier la mémoire d'un enfant déporté pendant la seconde guerre mondiale. Serge Klarsfeld dans Le Monde du 19 février défend la proposition : « L'initiative du président de la République est extraordinaire, et ceux qui en sont aujourd'hui les détracteurs prétendront demain en avoir été les inspirateurs. » L'initiative a soulevé l'indignation de beaucoup, à gauche comme à droite, aussi bien dans la classe politique que chez les journalistes et les intellectuels. Rony Brauman et Patrick Weil dénoncent chacun une décision insensée prise par un Président de plus en plus inquiétant. Alain Finkielkraut refuse de rentrer dans la polémique.

Brauman et Weil, unis contre l'« histoire triste »

Rony Brauman, médecin, ancien président de Médecins sans frontière et professeur à l'Institut d'études politiques de Paris, est l'auteur de La discorde : Israël-Palestine, les Juifs, la France avec Alain Finkielkraut et Elisabeth Lévy, aux éditions Mille et une nuits. Pour lui « l'entretien d'une mémoire mortifère imposée à des écoliers est psychologiquement désastreux. Pourquoi ce malheur plutôt qu'un autre ? Pourquoi adopter, même symboliquement, la mémoire d'un enfant de la Shoah plutôt qu'un enfant de la guerre d'Algérie ou d'une autre catastrophe ? Par ailleurs, en tant que Juif, je trouve que cette mesure réduit la mémoire juive à un affrontement avec les nazis, notre Histoire n'est pas seulement triste. C'est une réduction insupportable. Cette décision paraît folle, incompréhensible et inapplicable. Est-ce une diversion, une instrumentalisation de l'Histoire pour faire oublier les sondages ? Sans doute, en tout cas la polémique qu'elle a provoquée montre son improvisation. »


Patrick Weil

Patrick Weil

Patrick Weil est un historien, politologue, directeur de recherche au CNRS, il vient de publier Liberté, égalité, discriminations, l'identité nationale au regard de l'histoire, chez Grasset. « Dans cette décision il y a le reflet d'une méthode : le bonapartisme réactionnel : Nicolas Sarkozy intervient sur tous les sujets, avec des idées personnelles ; il décide publiquement, puis, s'il y a des réactions, recule. Ce n'est pas la meilleure méthode de gouvernement. Parfois il crée des problèmes où il n' y en a pas (laïcité, histoire de la Shoah). Souvent il avance de mauvaises solutions qu'il annonce sans même les avoir testées. Sur des sujets sensibles où l'on attend du Président qu'il rassemble, qu'il unisse et qu'il apaise, il crée tension et désordre dans la société, inutilement et dangereusement. On ne joue pas avec l'Histoire et la mémoire d'un pays. Encore une fois, il confond public et privé, il s'agit ici de mémoires intimes qu'il veut publiciser à l'excès. Il mélange émotion et raison, Histoire et mémoire. Ce qu'il avait d'ailleurs déjà fait à Latran, où il avait confondu mémoire catholique reconstruite et Histoire. »

Finkielkraut commente, lui, la levée de bouclier
Interviewé par Elisabeth Lévy et Gil Mihaely sur le site causeur. fr, Alain Finkielkraut critique l'idée de « parrainage de la mémoire » lancée par Nicolas Sarkozy, mais le tollé contre cette idée lui semble plus inquiétant que l'idée elle-même. Extrait :

Causeur.fr : Vous avez beaucoup réfléchi et écrit sur les risques de la mémoire. Vous n'êtes ni un adepte de la « religion de la Shoah », ni un défenseur du « devoir de mémoire ». On vous imagine spontanément plutôt hostile à l'initiative du président de la République. En refusant de répondre à chaud aux sollicitations, sans doute vouliez-vous vous donner le temps de réfléchir. Mais on dirait aussi que votre réserve traduit une sorte de gêne. Que vous inspire cette idée ?
A.F. : La proposition de faire parrainer les enfants juifs français déportés par des élèves de CM2 est discutable. Elle n'a rien cependant d'obscène ou d'indigne. Nicolas Sarkozy observe que l'antisémitisme est une passion toujours vivante. Cette passion, il veut la tuer dans l'œuf. Et l'œuf, c'est l'enfant. Si les enfants sont avertis assez jeunes, si on leur ouvre les yeux sur les horreurs auxquelles une telle passion peut mener, on les vaccine. Contre l'ignorance, l'indifférence et le négationnisme qui s'ébroue sur Internet, le président de la République table, dès le plus jeune âge, sur la connaissance. Je ne vois rien là de scandaleux.

Peut-être, mais les bons sentiments ne font pas un bon enseignement. En général, vous n'approuvez guère la mobilisation émotionnelle.

A.F. : L'opposition raison-émotion a ses limites. Le sentimentalisme est une menace pour la raison et l'insensibilité aussi. N'oublions pas Marc Bloch : « Il y a deux catégories de Français qui ne comprendront jamais rien à l'Histoire de France, ceux qui refusent de vibrer au sacre de Reims, ceux qui lisent sans émotion le récit de la Fête de la Fédération. » Ceux qui refusent de vibrer, ceux qui lisent sans émotion. Les morts ne sont jamais indifférents. L'histoire et la mémoire doivent être, l'une et l'autre, animées par le souci de la vérité, et elles relèvent, selon des modalités certes différentes, de la connaissance sensible.

En somme vous n'appréciez guère l'initiative du président et encore moins les critiques qui pleuvent sur elle ?
A.F. : Je suis réservé, mais je ne joins pas ma voix au tollé, précisément parce que ce tollé confirme mon inquiétude. S'il n'y avait pas de conflit israélo-palestinien, peut-être une telle mesure aurait-elle été discutée calmement. Aujourd'hui, le calme n'est plus de mise, c'est la violence et c'est même la haine qui prévaut.
Lire la suite sur causeur.fr


Mardi 19 Février 2008 - 00:35

Pauline Delassus

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