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Mon Mulhouse2
11 février 2008

Les congés des ouvriers du BTP financent le Medef


Les congés des ouvriers du BTP financent le Medef
                                   

      

Rue89 a enquêté sur ces caisses de congés payés qui financent les puissantes fédérations du bâtiment sur le dos de PME.


Le chantier du château de Fontainebleau en janvier 2006 (Gilles Coulon/TF)

"Obsolète, inique, discriminant": une poignée de petits patrons du BTP n'ont pas de mots assez durs pour dénoncer le système des caisses de congés payés du bâtiment. Un système hérité du Front populaire, véritable vache à lait pour les puissantes fédérations du bâtiment avec des pratiques qui, du point de vue de ces entreprises, s'apparentent à de l'extorsion de fonds. Le gouvernement, le Medef et même l'Elysée: tout le monde sait, mais personne ne veut y mettre de l'ordre. Enquête sur un scandale qui menace aujourd'hui des dizaines de PME du secteur.

A Limoges, les premiers contestataires dénoncent l'adhésion obligatoire aux caisses

La révolte est partie de Limoges. Au début, ils sont une poignée, emmenés par une figure de proue: Henri Maillot, chef d'équipe dans une PME de 40 personnes spécialisée dans le gros oeuvre. Salarié et associé de son entreprise, Maillot a un jour la curiosité d'examiner les comptes. Il découvre alors les cotisations mensuelles versées à la Caisse des congés payés du BTP du Centre-Ouest. Une grosse somme pour son entreprise: plus de 170000 euros par an. Il interroge son PDG, qui lui répond, fataliste:

"On ne peut rien faire contre la Caisse..."


A Bagnolet en novembre 2004 (Philippe Lopparelli/TF)

Un mécanisme hérité des années 30, où les ouvriers changeaient d'employeurs chaque jour

Volontiers frondeur, Henri Maillot, titulaire d'une maîtrise d'administration des entreprises (AES, plutôt rare à ce niveau), parle haut lorsqu'il évoque l'argent des congés payés. Un système unique en France, qui existe depuis 1937. A l'époque, les ouvriers du bâtiment changent souvent de chantiers et d'employeurs. Au moment des vacances, ils n'ont parfois aucune garantie de toucher les fameux congés payés. Pour assurer des vacances à tous, les patrons créent donc des caisses qui collectent les cotisations et les redistribuent aux intéressés.

Ces caisses prennent ensuite la gestion des congés intempéries à partir de 1946 -une allocation versée en cas de pluie ou de neige- puis à partir de 1985, les activités de l'OPPBTP, la branche hygiène, sécurité et prévention du BTP.

Aujourd'hui, 32 caisses se partagent l'énorme gâteau des vacances des ouvriers du bâtiment: plus de 5 milliards d'euros par an. Comme le montre cet appel de cotisation de la Caisse de la Région de Paris, les congés payés sont facturés à hauteur de 19,6% du "total des salaires plafonnés déclarés à l'Urssaf", là où, en moyenne, le coût des congés ne dépasse pas les 14%!

Le système prive les entreprises d'une année de trésorerie

Pour de nombreux entrepreneurs, le système est aujourd'hui complètement obsolète. D'abord, parce que 80% des salariés du secteur sont désormais fixes, très souvent en CDI dans un secteur frappé par la pénurie de main-d'oeuvre. Selon la Dares, le taux de rotation (turn over) est de 22,2% dans la construction, à comparer avec les 40% de l'ensemble des métiers. Autre critique: le mécanisme de versement des cotisations prive les entreprises d'une part importante de leur trésorerie, dans la mesure où elles sont obligées de cotiser un an à l'avance... Henri Maillot parle carrément d'une "confiscation":



Henri Maillot et ses amis n'en sont pas à leur première escarmouche avec les caisses du BTP. En 2004, après la diffusion d'un tract critique sur le sujet, il est poursuivi pour diffamation publique par la Caisse de surcompensation, devenue entre temps l'Union des Caisses de France. Il sera relaxé sur une nullité. Mais le débat juridique est posé.

L'argument d'Henri Maillot? Les caisses de congés payés ne respectent pas le principe de liberté d'association. Jusqu'à maintenant, la jurisprudence donne raison aux caisses. Des jugements qui vont clairement à l'encontre d'un principe formellement reconnu par la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) de Strasbourg.

Des tribunaux de commerce et des organisations patronales du bâtiment

Autre exemple: Patrick Couturas, menuisier à Eyjeaux, petite bourgade près de Limoges. Avec son unique employé, cela fait vingt-cinq ans qu'il fabrique des escaliers en bois pour les particuliers. L'entreprise tourne correctement, sans plus.

Aujourd'hui, la caisse de Limoges lui réclame 1900 euros de cotisations. Huissier, commandement à payer, ordonnance de comparution devant le tribunal de commerce. Dont l'actuel président, René Dufour, fut aussi vice-président de la Caisse du centre-ouest (CCPBCO) pendant douze ans! L'actuel président de la Caisse du Limousin, Jacques Raynaud, est quant à lui aussi président de la Banque Populaire Centre Atlantique... la banque de Patrick Couturas. Notre menuisier a beau avoir le sens de l'humour, il ne se sent pas vraiment écouté par ses interlocuteurs:



Rien n'est épargné aux PME évoluant en marge du BTP

Un univers contrôlé par les patrons

 

Les statuts régissant les caisses, comme celui de la caisse du Haut-Rhin, définissent un objet social très étendu (article2):
"En outre, elle peut prêter son concours toutes les fois qu'il lui est demandé par les pouvoirs publics, pour des fins déterminées par ceux-ci, même en dehors de son objet tel qu'il est défini ci-dessus."
Une formule aussi vague que large. Mieux: l'association fonctionne grâce à un bureau, élu par ses membres. Lesquels membres ont aussi le droit d'être représentés à l'Assemblée générale, mais sur un mode très particulier (article 20) de désignation des représentants:
"Ces représentants ont droit à autant de voix que les adhérents qu'ils représentent ont versé de fois,dans l'exercice précédant l'assemblée générale, un montant de cotisations de congés payés égal à l'abattement prévu par l'article R. 731-18 du code du travail, tel qu'il est connu la veille de l'assemblée."
En clair, ce sont les "syndicats membres de droit" qui font et défont les majorités au sein des caisses. Qui sont-ils? Quatre organisations patronales, là aussi clairement indiquées dans les statuts de l'UCF: la FFB (fédération française du bâtiment), la FNTP (fédération nationale des travaux publics), la CAPEB (confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment) et la FNSNOP (fédération nationale des sociétés coopératives de production du bâtiment).

Partout en France, les 32 Caisses de congés payés se montrent intraitables, envoyant leurs contrôleurs assermentés vérifier l'activité de chaque société. L'aventure est arrivée à la société Michel Rezig, basée à Sarcelles. Créée en 1995, cette PME de sept personnes (trois administratifs, quatre en production) est spécialisée dans le commerce de tissus industriels, de type stores, bâches ou tissus isolants pour les chambres froides. En 2003, la Caisse du BTP de Paris effectue un premier contrôle, à l'issue duquel elle réclame l'affiliation immédiate de l'entreprise, parce que deux employés réalisent aussi la pose des tissus vendus.

Pourtant, Rezig est loin de l'univers du BTP. Tout ces employés travaillent en atelier ou, chez les clients, dans des endroits protégés des intempéries. Ici, pas d'emploi précaire. La société marche bien, mais rien à faire, la Caisse attaque... et gagne, devant le tribunal de commerce de Pontoise, puis devant la cour d'appel de Versailles. Motif:

"L'adhésion obligatoire de l'employeur, contestée par la société appelante, est une mesure nécessaire à la protection des droits et de la santé des salariés, en leur assurant le paiement non seulement des congés payés mais aussi celui des indemnités de chômage-intempéries, régime dont les caisses sont également chargées; qu'elle n'est donc pas contraire à l'article 11 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme."

Malgré un pourvoi en Cour de cassation, la Caisse de Paris menace toujours Rezig d'une inscription-privilège au greffe. Ce qui signifierait la liquidation pure et simple de la société, comme l'explique Catherine Glise, responsable administrative de la société:



La principale critique des entrepreneurs concerne l'opacité des comptes de ces caisses. En théorie, ils sont certifiés par un commissaire aux comptes. Mais Pascal Sanchez, PDG d'Emaplast (40 salariés), qui a cotisé trois ans, a une autre vision:



Seul élément d'information: les caisses ont toujours affirmé qu'elles parviennent à assurer leurs frais de fonctionnement grâce aux produits financiers de la trésorerie des cotisations. Dans ce cas, comment expliquer la différence de 4 à 6% constatée entre le système en vigueur dans les autres secteurs et celui des caisses du BTP? Pascal Sanchez estime cet écart à environ 500 euros par salarié et par an. Soit, au total, une charge supplémentaire pour lui de 17486 euros par an.

A toutes ces critiques, l'Union des caisses de France répond "statut" et "garantie des droits des salariés". Sa directrice, Claudine Metz, a accepté de répondre à Rue89 sur le manque de transparence constaté par certains de ses adhérents. "Les cotisations, dit-elle, couvrent exactement le coût des congés payés, tel qu'ils sont payés par les caisses avec un certain nombre d'avantages, notamment une prime de vacances de 30%":



Une longue liste d'abus, plus ou moins connus...

Si les comptes sont opaques, le train de vie des administrateurs des caisses l'est tout autant. Officiellement, ceux-ci sont bénévoles comme tout dirigeant d'association. De plus, elles n'ont pas le droit de faire des profits comme l'indique leur statut (article 2):

"La caisse, n'exerçant pas d'activité économique, s'interdit tout bénéfice."

Le plus grand flou règne sur les petits (et grands) privilèges des administrateurs, cooptés par les organisations patronales. Le 14 octobre 2003, les administrateurs de la caisse de Limoges ont ainsi choisi le Château des Reynats, près de Périgueux -un magnifique hôtel-restaurant quatre étoiles- pour tenir le conseil d'administration de la CCPBCO. A la lecture du procès-verbal, surprise: les débats commencent à 13h00 pour s'achever à... 13h15. Juste le temps de réélire le même bureau pour trois ans!

Idem pour la caisse de Rennes. Cette fois-ci, nous sommes en octobre 2007 et les administrateurs décident de tenir leur assemblée générale annuelle à... Montpellier. Rendez-vous un vendredi à 16h00 pile, pour bien commencer le week-end. Inutile de préciser que les adhérents n'ont rien eu à redire, puisqu'il fallait lire le bulletin d'annonces légales des Petites affiches pour être au courant de cette AG.

Sans oublier les aménagements luxueux des sièges, comme l'entrée de la caisse de Nantes pavée de travertin d'Italie, un marbre rouge aux reflets chatoyants:

A Mulhouse, la justice sanctionne voyages et contrats d'assurance-vie trop exotiques

En 1996, certains administrateurs de Colmar adressent une lettre anonyme au parquet de Mulhouse, pour dénoncer les "agissements frauduleux" du président de la Caisse du Haut-Rhin, de son directeur et d'une poignée d'administrateurs. Après une longue enquête du SRPJ, les policiers établissent les faits.

D'abord, un système de contrats d'assurance-vie au bénéfice des administrateurs. Contrats financés par la caisse, en guise de rémunération cachée de leur mandat. Pour le président, le contrat prévoyait un versement de 25000 francs (3810 euros) par an sur dix ans, avec un versement initial de 125000 francs (19054 euros). Pas mal pour un bénévole, mais en droit, les juges retiendront l'abus de confiance. Même chose, en plus modeste, pour quatre membres du bureau qui plaident la "bonne foi".

Jean-Claude Biwand aimait aussi les voyages pour "assister à des symposium, congrès ou réunions", dont il fera profiter le directeur salarié de la caisse. Accompagnés de leur épouse, les deux hommes vont à la Nouvelle-Orléans (Etats-Unis) puis aux Antilles aux frais de la princesse. Sans oublier de menus frais de déplacements exagérément gonflés. Jugement en 2002: six mois de prison avec sursis pour le président indélicat, une amende pour le directeur et relaxe "au bénéfice du doute" pour les autres. L'affaire n'a pas dépassé la Une de la presse locale.

La révolte de la plasturgie contre les caisses du BTP

C'est sans doute l'un des tout derniers décrets signés "Dominique de Villepin, Premier ministre". Le 11 mai 2007, alors qu'il va quitter l'hôtel Matignon, le chef du gouvernement appose son paraphe à un texte régissant les relations entre les caisses et les "organisations patronales représentatives d'une branche professionnelle autre que celle du bâtiment". Le décret fait référence à des "accords" sur les règles d'affiliation.

En fait, ce simple décret est le résultat de trois années de négociations acharnées entre, d'un côté un collectif de professions emmené par la Fédération de la plasturgie et, de l'autre, l'Union des caisses de France. Comme le souligne un communiqué de presse commun, l'accord signé en mars 2007 permet à ces entreprises de sortir du système des caisses. A condition de démontrer que leur activité de pose "bâtiment" n'excède pas 10% de leur chiffre d'affaires. Sinon, c'est l'affiliation obligatoire.

Au cours des discussions, le collectif a tenté de faire valoir l'argument des conventions collectives: ne seraient affiliées que les entreprises relevant de la convention du bâtiment. Refus ferme et définitif de l'Union des caisses de France.

Les caisses collectent aussi les cotisations (volontaires) aux organisations patronales

Sous l'égide de la Direction des relations du travail, le BTP a fini par obtenir gain de cause... tout en s'engageant à cesser de collecter de façon abusive les cotisations (volontaires) destinées aux organisations patronales. Le gouvernement aurait même promis une circulaire pour interdire formellement l'amalgame pratiqué par des nombreuses caisses qui réclament, au milieu des cotisations congés payés, la "cotisation FFB" ou "CAPEB".

"Une pratique tout à fait illégale", pour le chef d'entreprise Pascal Sanchez:



Pour la directrice de l'Union des caisses de France, tout cela est faux. Claudine Metz est formelle, il n'a jamais été question d'une telle mesure:



Après de nombreuses relances, le service communication de la Fédération Française du Bâtiment a fini par nous faire savoir que:

"D'une façon générale, le président de la FFB ne s'exprime pas sur ce sujet des caisses de congés payés du BTP."

Il faut dire que, outre sa proximité avec Laurence Parisot, Christian Baffy occupe un poste stratégique du Medef: Vice-Président Trésorier.

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