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Mon Mulhouse2
1 février 2008

"Génie du proxénétisme" ou le capitalisme appliqué au bordel


"Génie du proxénétisme" ou le capitalisme appliqué au bordel
                          

 

Après "Porno" d’Irvine Welsh, voici un autre roman où la consommation du sexe est centrale. "Génie du proxénétisme" légalise en effet la prostitution dans une époque où marché et sexe sont les religions de masse. Un roman contre les élites qui est surtout un livre psychosexuel. Rencontre.

En 1802, "Génie du christianisme" cherchait à réhabiliter l’esprit religieux en se payant l’esprit laïc des Lumières. La religion était alors la valeur immatérielle ultime de la civilisation occidentale, et le sexe tabou absolu.

Deux siècles plus tard, l’immatériel de nos sociétés n’est plus religieux. Il est financier. L’économie gouverne nos système politiques. Depuis belle lurette, le marché se passe de la démocratie pour régir les rapports entre les citoyens. Le sexe est -toujours- le tabou absolu. Mais le marché l’a décomplexé.

Dans un petit pays, la France, "Génie du proxénétisme", premier roman d’un jeune homme de 35 ans, Charles Robinson, dissèque la façon dont le capitalisme s’inspire du christianisme pour devenir l’organisation même de la société. L’instrument qui met tout le monde d’accord? La prostitution.

Une maison close d'un nouveau genre

Sous-titré "Beautés de la religion péripatéticienne", le livre semble se passer dans un futur proche. Dans une région sinistrée d’une France à la ramasse, celle que nous connaissons aujourd’hui. Où un entrepreneur décide de s’élever contre l’immobilisme. Cet homme présente son dossier dans tous les détails: il s’agit d’une entreprise capitaliste unique et inédite, la Cité, créée pour répondre à l’appel d’offre d’une région économiquement sinistrée. Le roman est construit comme un "cahier des charges", où notre boss présente son projet récent, et demande à présent des subventions.

La Cité n’est ni plus ni moins qu’une maison close d’un nouveau genre. Pour décomplexer travailleurs et consommateurs tout en redorant une région et l'économie nationale, il s’agit ici de s’attaquer au tabou qui bloque tout: la prostitution. La replaçant dans un cadre légal, on ouvre alors un secteur qui n’avait jamais bénéficié dans sa globalité de la légalité.

"Génie du proxénétisme" est basé sur un double calque, et a donc une structure double. D’une part, le schéma du projet d’entreprise (argumentaires ordonnés, objectifs chiffrés, moyens de départ, philosophie du projet, viabilité). D’autre part, l’ordonnancement et les chapitres du livre de Chateaubriand ("Dogmes et doctrine", "Poétique du Proxénétisme", "Beaux-Arts", "Culte", "Les missions"), auquel le romancier Robinson immisce le discours littéraire en un chapitre supplémentaire ("Objet de ce livre").

Aussi, la première portée du roman est-elle sur l’ordre du discours managérial. La culture et les mots libéraux:

"Il revient à l’entreprise de repousser les limites: ici, la culture d’entreprise va suppléer au vide de projets d’un pays mort. Reparamétrer les logiciels. Opérer le renversement, libérer l’entreprise en libérant aussi les mœurs. Le rêve ultralibéral: la contre-utopie devient utopie. En réponse à la mondialisation, nous avions trouvé le moyen de développer le tiers-monde à domicile."

Auscultant l’effet du discours libéral sur un homme, qui a dans les mains l’avenir d’autres hommes, "Génie du proxénétisme" n’est pas sans rappeler "Le Couperet" de Donald Westlake (et le film qu’en tira Costa-Gavras en 2005) -somptueux polar où un cadre au chômage apprenait qu’il lui fallait éliminer la concurrence pour avoir un emploi ; le chômeur s’employant alors à mettre le conseil en pratique… au premier degré.

Ce roman est d’époque. (Voir la vidéo.)


Un roman politique et psychosexuel, coupé à l’amphé et au GHB

"Le capitalisme est une aventure sexuelle. […] Une aventure libidinale. Nous assistons à cet étrange paradoxe où notre société prétend être libérale sur les mœurs (encore que ça tire un peu), et conservatrice en économie. Le genre de contradiction que l’on maquille en exception culturelle française."

"Génie du proxénétisme" est un livre très sérieux. Mais comme tous les bons romans au ton monocorde, il se réserve des p(l)ages de provocation:

"Tant qu’il n’y aura que la Thaïlande comme acteur sérieux sur le marché, on ne verra pas émerger un tourisme sexuel équitable. Le monopole incite à la paresse; seule la concurrence peut pousser le marché à relever ses normes qualité."

Se glissent aussi des propos entre vérité et populisme:

"Les élites portent une lourde responsabilité. Nos élites sont formées à intégrer des structures déjà constituées: grands groupes industriels, institutions, administrations -de ce point de vue, public, privé, c’est pareil, même formation, même culture. Ce sont des élites de confirmation de l’existant."

Sans oublier une touche de lyrisme sur le marché de l’amour:

"L’idée selon laquelle l’affectif serait réservé au légitime conjoint tandis qu’il s’agirait avec les experts sexuels de drainer des excédents de libido est une idée naïve, qui méconnaît les mécanismes du sexe, elle est un préjugé, et les préjugés, quels qu’ils soient, il faut leur faire rendre gorge. Nos experts sexuels sont des officiers d’amour, pas des caporaux de la frustration."

Et des répliques au GHB (définissant le rythme de travail dans la maison close par un "60h hebdomadaires, il faut avoir les reins solides").

Il est un moment où, de par ses provocations, son calque parfait de la France d’aujourd’hui, mais aussi la double structure évoquée plus haut, "Génie du proxénétisme" devient une pyrotechnie ironiste qui éclairenotre rapport à la consommation tarifée du sexe et aux interdits politiques. Le livre titille nos rapports moraux avec l’économie. Et donc, le genre de notre rapport au marché. Lequel, organisé autour du sexe, devient une entité physique. Et Robinson de pointer la sexualité de ce rapport.

La métaphore du monde est la base de la littérature. "Génie du proxénétisme", est un roman psychosexuel. Où Robinson cherche, aussi, la réplique que peut donner la littérature à la puissance de séduction érotique du capitalisme. (Voir la vidéo.)


La présentation par le narrateur de son propre projet est entrecoupée des différentes formules offertes par la Cité (par exemple, proposer aux parents le dépucelage "intelligent" de leur fille par un professionnel, méthode "qui garantit une vie sexuelle future épanouie."

On trouvera aussi des témoignages des responsables, prostitués, coaches, consommateurs, qui nous renseignent sur la vie interne de la Cité (il arrive que les prostitué(e)s se marient entre eux). On regrettera cependant le manque d'épaisseur des personnages.

Robinson s’inscrit dans la lignée de quelques romanciers français (François Bégaudeau par exemple) qui, écrivant le réel, le font avec une langue parfois trop froide. Une distance un peu "nouveau roman".

"Génie du proxénétisme" est à mi-chemin entre l’essai et la narration. Quelque chose entre la démonstration managériale, le pamphlet strident qui met en contradiction le discours et les valeurs d’une société, une pure provocation très talentueuse, le roman qui tombe à pic, et la mise. C’est un roman bien tapé. Qui fera grincer un lecteur de droite (logique du marché poussée à son terme) comme un lecteur soixante-huitard (le marché qui parvient à briser le tabou du marché du sexe).

C’est précisément en cela qu’il parvient à incarner son époque. A lui donner un sens littéraire plus encore qu’une voix littéraire. "Génie du proxénétisme", c’est une multi-prise à métaphores. (Voir la vidéo.)


Interview réalisée à Paris le 25 janvier 2008.

Génie du proxénétisme de Charles Robinson - éd. du Seuil - 235p.,18€

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