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Mon Mulhouse2
28 janvier 2008

Des textes pornographiques qui font peur

lemondefr_grd

Des textes pornographiques qui font peur

D.R.

L'affiche du spectacle "Le Bleu du ciel" avec la comédienne Julie Pouillon - jusqu'au 10 février 2008 à la Maison de la poésie à Paris.

Sade : "Tout dire, à quelque point qu'en frémissent les hommes." Que faire sur scène de textes limites, durs, pornographiques, de Sade, Georges Bataille (1897-1962) ou Bernard Noël ? Réponse avec Le Bleu du ciel, mise en scène de Claude Guerre assisté de Sonia Masson, à la Maison de la poésie, à Paris.

"Je fais peur, non pour mes cris, mais je ne peux laisser personne en paix", dit Bataille. Voilà pourquoi, par peur, on tient encore Le Bleu du ciel (son récit publié en 1957) pour le roman le plus déchirant du XXe siècle. Le plus prémonitoire aussi. Le texte le moins apte à quelque représentation que ce soit.

Trop de violence entre soi et soi, trop d'exigence intransportable au-delà de l'intimité de la lecture. Depuis sa parution, symptôme éloquent, les droits cinématographiques sont régulièrement réservés et régulièrement cédés. Sans le moindre film. Au théâtre, le pénible ou le grotesque guette toute adaptation. A part la mise en scène d'Anne Dimitriadis à Athènes, en 1997, rien de probant.

ENTENDRE CES IMAGES CRUES

C'est donc à ce texte inapprochable que s'attaque Claude Guerre. Mise en scène, mise en voix, mise en espace. Et pour se compliquer la vie, entrelacs d'extraits de Bataille, de Sade et de Bernard Noël. Il n'est pas impossible de penser que de tels textes (les érotiques comme les mystiques) ne doivent leur existence qu'à l'invention de l'imprimerie, qui permit la reproduction : à ce passage décisif de la lecture à haute voix à la lecture muette, la lecture des yeux.

Entendre ces images crues, les croire et les entendre ensemble, en salle, au théâtre, ne va pas de soi. Or, c'est ce que Claude Guerre, doublé de la voix de Bernard Noël, réussit à faire résonner : voix essentielles, parole au bord du silence et de la musique, Anne Alvaro et Julie Pouillon. La dureté des mots ne s'y perd pas. Elle acquiert, sous les velours et les intonations de violoncelle, sa valeur initiale.

On suffoque. On respire. On songe à Marguerite Duras écrivant en 1958 : "La critique, au seul nom de Bataille, s'intimide. Les années passent : les gens continuent à vivre dans l'illusion qu'ils pourront un jour parler de lui. Cette abstention devient leur orgueil. Ils mourront sans oser, dans le souci extrême où ils sont de leur réputation, affronter ce taureau."

Cet impossible prend de nouvelles frusques : la récupération pimpante ou grammaticale. Sade ? On tente à heure fixe, malgré le travail d'Annie Le Brun ou de Michel Delon, de le diaboliser. Au demeurant, c'est le diable. Bernard Noël ? Depuis le très interdit Château de Cène (1969), l'approfondissement de son oeuvre sans exemple n'a d'égal que la discrétion qui la voile. Tels sont les trois taureaux que Claude Guerre affronte. De face et en mettant la jambe. Les voix d'Anne Alvaro et de Julie Pouillon ? Elles s'entrelacent "comme la langue à la langue s'enlace dans le baiser".


"Le Bleu du ciel". Textes de Sade, Georges Bataille et Bernard Noël. Montage et mise en scène de Claude Guerre.Avec Anne Alvaro, Julie Pouillon et Claude Guerre et la voix de Bernard Noël. Maison de la poésie, passage Molière, 157, rue Saint-Martin, Paris-Ier. M° Rambuteau ou Les Halles. Tél. : 01-44-54-53-00. Du mercredi au samedi à 21 heures ; dimanche à 17 heures. De 10 € à 20 €. www.maisondelapoésie. com/ Jusqu'au 10 février.

Francis Marmande

Article paru dans l'édition du 29.01.08.

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