Croissance: Bercy revoit sa copie
Croissance: Bercy revoit sa copie
Le 16 décembre dernier, Eric Woerth, ministre du Budget, maintenait sa prévision de croissance pour 2008 : «entre 2 et 2,5 %, c'est-à-dire 2,25 %, prévision sur laquelle a été construit le budget de la France pour 2008». Et il ajoutait : «Il n'y a aucune raison» de réviser à la baisse cette prévision, sinon «ce serait un signal extrêmement désagréable et négatif pour l'économie».
Un mois plus tard, le 17 janvier, Christine Lagarde, ministre de
l'Economie, n'a pas craint d'envoyer un tel signal, en déclarant que la
croissance française devrait se situer en 2008 «dans la partie basse de la fourchette». Seule la «situation internationale» est mise en cause, car «on
a des facteurs endogènes français qui sont solides, on va avoir un
déploiement à plein des mesures sur les heures supplémentaires qui vont
permettre de travailler plus. Clairement, ça nous mettra sur un chemin
vers la croissance grâce à la réforme et à la compétitivité». On
peut en douter, et le risque est grand que les mesures prises par le
gouvernement aggravent au contraire les effets de la conjoncture
internationale.
Le hasard du prix du pétrole
Certes, l'incertitude a rarement été aussi grande, puisque les
prévisions vont de 1,5 % pour la BNP à 2,6 % pour l'OFCE. Le
gouvernement a également exploré un scénario «pessimiste» (1,75 %) et,
par raison de symétrie, un scénario «optimiste» (2,75 %). On pourrait
en conclure que, décidément, les conjoncturistes sont incapables
d'anticiper les retournements. Mais ce serait en partie injuste car un
tel éventail s'explique par des hypothèses différentes, que l'on peut
discuter. L'examen de la prévision assez atypique de l'OFCE permet
d'identifier les principaux paramètres de cet exercice : taux de change
de l'euro, prix du pétrole, taux d'épargne des ménages et évolution des
dépenses budgétaires. Sur chacun de ces points, la spécificité de
l'OFCE est de retenir des hypothèses favorables à la croissance :
stabilisation du dollar à 1,44 euro ; repli du prix du pétrole à 67
dollars en moyenne sur 2008 ; baisse du taux d'épargne et croissance
plus rapide que prévue des dépenses budgétaires.
Des hypothèses que l'on est en droit de considérer comme
plus réalistes (euro à 1,5 dollar, pétrole à 80 dollars, politique
budgétaire restrictive comme prévu et maintien du taux d'épargne)
conduisent à une prévision de croissance d'environ 1,6 % en 2008,
contre près de 1,9 % cette année. L'hypothèse sur le prix du pétrole
est la plus hasardeuse. Mais ce n'est pas pour autant une variable
exogène : si le ralentissement aux Etats-Unis s'accentue et se diffuse
au reste du monde, la demande de pétrole peut ralentir elle aussi et
détendre le marché. Il y a donc une certaine compensation entre
croissance mondiale et prix du pétrole. C'est pourquoi le jeu
d'hypothèses de l'OFCE ne semble pas cohérent, en postulant à la fois
un ralentissement peu marqué aux Etats-Unis et un net repli du prix du
baril.
Le taux de change euro/dollar n'est pas non plus exogène.
Il dépend à la fois des fondamentaux de l'économie américaine et des
politiques menées par les banques centrales. Le ralentissement aux
Etats-Unis devrait mécaniquement freiner les importations et réduire le
déficit commercial, et ce mouvement est d'ailleurs déjà amorcé. Mais
cela peut ne pas suffire à stopper la baisse du dollar, parce que la
Fed ne sera pas incitée à baisser son taux d'intérêt face aux menaces
de récession, alors que la Banque centrale européenne aura bien du mal
à résister à la peur névrotique de l'inflation, surtout au moment où
les revendications salariales sont très élevées en Allemagne.
Des employeurs en position de force
Du côté français, les mesures gouvernementales ne sont pas susceptibles
d'amortir les effets de la conjoncture mondiale. L'accélération de
l'inflation va venir mordre sur le pouvoir d'achat des salariés, qui
seront en mauvaise posture pour obtenir des hausses de salaires
capables de le maintenir, parce que toutes les mesures gouvernementales
déplacent le rapport de forces à leurs dépends. Avec le nouveau régime
des heures supplémentaires et des journées de RTT et la réforme du
marché du travail, les employeurs seront en position de force pour
gérer l'emploi au plus près : minimum d'embauches et de progression
salariale. On va s'apercevoir que les mesures sur le temps de travail
vont dissuader les employeurs d'embaucher et leur permettre de
maintenir la croissance de la productivité à un rythme à peu près
équivalent à celui du PIB. Dans ces conditions, il y aura très peu de
créations d'emplois, voire pas du tout. Quant à la compétitivité, les
quelques dixièmes de points que l'on pourra grapiller sur les salaires
ne compenseront pas les dizaines de points perdus depuis cinq ans à
cause d'un euro trop fort.
Le taux de chômage réel (hors nouvelles radiations de
chômeurs) se maintiendra donc à peu près au même niveau, et l'effet
attendu par l'OFCE sur le taux d'épargne ne s'enclenchera pas. Comme
par ailleurs le « paquet fiscal » a profité principalement aux plus
hauts revenus qui épargnent plus que la moyenne, le taux d'épargne
n'aura aucune raison de baisser et la contribution de la consommation à
la croissance n'augmentera pas.
Déficit budgétaire: on creuse encore
Seul point positif, le déficit commercial se réduira, mais pour de
mauvaises raisons : grâce à une moindre progression des importations
plutôt que par un rétablissement des parts de marché à l'exportation.
En revanche, le déficit budgétaire va se creuser encore à partir du
moment où la croissance sera inférieure à celle qui a été retenue pour
construire le budget virtuel de 2008. L'«impulsion budgétaire» ne
pourra donc jouer un rôle positif - comme le postule l'OFCE - car on ne
voit pas comment le gouvernement pourrait se permettre de laisser filer
encore le déficit. Les salariés pourront s'estimer heureux si leur
pouvoir d'achat n'est pas rogné par un prélèvement supplémentaire (TVA
ou CSG) destiné à compenser les subventions aux entreprises sous forme
de nouveaux allègements de cotisations.
Dimanche 20 Janvier 2008 - 00:03
Michel Husson