Dupont-Aignan contre le «coup d'Etat simplifié» de Sarkozy
Dupont-Aignan contre le «coup d'Etat simplifié» de Sarkozy
A paraître aux éditions du Rocher, le 24 janvier 2008.
Extrait 1 : Une entaille dans la souveraineté nationale
En 1998, Jean-Claude Barreau publiait un livre intitulé Le coup d'Etat
invisible, où il écrivait : « Dans le nouvel ordre européen, les
élections au suffrage universel dans le cadre national sont donc bien
devenues des « pièges à cons » puisque les citoyens élisent des députés
qui ne font plus la loi. […] Le drame c'est qu'à cause d'une propagande
insistante, universelle et habile, les citoyens n'ont pas réellement
conscience de ce putsch masqué. […] L'Europe est ainsi devenue le grand
alibi, le suprême espoir d'une caste qui ne réussit plus à gouverner la
Nation, mais déploie en revanche une énergie sans faille pour
construire une Europe imaginaire. »
Charge salutaire contre la démolition
à petits pas, mais avec les apparences de la légalité, de la démocratie
française par la faute de la discrète abdication de ses propres élites,
ce livre choc n'a pas, dix ans plus tard, pris une ride. Ou plutôt si,
une seule : avec l'incroyable affaire du traité européen « simplifié »
que Nicolas Sarkozy fait approuver, le coup d'Etat n'est plus
invisible. Sans complexe depuis qu'il a berné l'électorat populaire, le
président de la République demande au Parlement de ratifier un traité
refusé par le peuple deux ans auparavant. Et pour la première fois
depuis la Libération, des dispositions institutionnelles majeures ne
seront pas soumises au peuple français. La représentation
parlementaire, dans un silence organisé, entame profondément la
souveraineté nationale dont le peuple est pourtant le seul détenteur.
Il est vrai que depuis la douche
froide du référendum sur Maastricht en 1992, l'abandon de la
souveraineté française aux autorités administratives bruxelloises
s'était opéré le plus possible dans le respect apparent des formes de
la démocratie et de la République, mais sans plus demander son avis au
peuple. C'est la raison qui explique la voie parlementaire pour la
ratification des traités d'Amsterdam et Nice. Mais ces deux traités,
qui ont certes provoqué de nouveaux et graves abandons de souveraineté
(je les ai combattus), demeuraient encore trop timides et timorés au
regard de l'objectif final des européistes d'instaurer un super-Etat
intégré, bâti sur la démolition définitive des démocraties nationales.
Ils ne permirent en somme qu'une victoire limitée et partielle contre
la liberté des peuples, renvoyant toujours à plus tard une offensive
décisive qu'on ne savait pas comment déclencher sans qu'elle apparaisse
au grand jour pour ce qu'elle était en réalité. L'éternelle et
lancinante hésitation devant le Rubicon…
Extrait 2 : Le traité de Lisbonne, si différent que ça du Traité constitutionnel ?
On pourra difficilement douter de la similitude entre ce traité et la
Constitution Giscard. Seuls les dirigeants du Parti Socialiste français
soulignent ses prétendues insuffisances pour minimiser le fait qu'ils
vont laisser ratifier par le Parlement, au mépris de leurs promesses,
ce que le suffrage universel a refusé. Mais pour l'ensemble des
observateurs, ces traités sont identiques.
A commencer par ses inspirateurs ou signataires :
Valéry Giscard d'Estaing : « Le nouveau texte ne devait pas ressembler
trop au traité constitutionnel. Les gouvernements européens se sont
ainsi mis d'accord sur des changements cosmétiques à la Constitution
pour qu'elle soit plus facile à avaler. » Audition au Parlement
européen, 17 juillet 2007
Angela Merkel : « La substance de la Constitution est maintenue. C'est un fait. » The Daily Telegraph, 29 juin 2007
Jose Luis Zapatero : « Nous n'avons pas abandonné un seul point
essentiel de la Constitution… C'est sans aucun doute bien plus qu'un
traité. C'est un projet de caractère fondateur, un traité pour une
nouvelle Europe. » Discours du 27 juin 2007
Valéry Giscard d'Estaing encore : «
Une dernière trouvaille consiste à vouloir conserver une partie des
innovations du Traité constitutionnel, et à les camoufler en les
faisant éclater en plusieurs textes. Les dispositions les plus
innovantes feraient l'objet de simples amendements aux traités de
Maastricht et de Nice. Les améliorations techniques seraient regroupées
dans un Traité devenu incolore et indolore. L'ensemble de ces textes
serait adressé aux Parlements, qui se prononceraient par des votes
séparés. Ainsi l'opinion publique serait-elle conduite à adopter, sans
le savoir, les dispositions que l'on n'ose pas lui présenter "en
direct". » Le Monde, 14 juin 2007 et Sunday Telegraph, 1er juillet
2007.
En conclusion, on voit combien le «
succès » attribué à Nicolas Sarkozy est en réalité celui d'une
oligarchie européenne qui n'a rien lâché sur le contenu de la
Constitution européenne, aidée en cela par l'Allemagne et la
Grande-Bretagne qui ont habilement manœuvré pour promouvoir leurs
propres intérêts. Ainsi, si on a accusé pendant deux ans la France de
vouloir imposer sa vision des choses à l'Europe, c'était en réalité,
tout au contraire, pour mieux permettre à d'autres de lui imposer la
sienne, au prix d'un reniement complet.
Extrait 3 : Les responsabilités du Parti socialiste
En 2007, le coup d'Etat simplifié de Nicolas Sarkozy attaque lui aussi
la démocratie dans son point faible, ses élites. Les corps constitués,
les institutions qui devraient la défendre, soit resteront l'arme au
pied, soit se comporteront en 5ème colonne ouvrant le passage à
l'assaillant.
On vient de le voir, les médias en
font partie puisque, relayant par complaisance le discours dominant qui
sème la confusion, ils ont en même temps abdiqué leur mission de « 4ème
pouvoir », de contre-pouvoir face à un club de dirigeants français et
européens qui prétendent dicter leur loi au peuple. Car à la différence
de mai 1940, on assiste moins aujourd'hui à un affrontement entre
l'Allemagne et la France qu'à une tentative de mise au pas des peuples
par leurs élites.
Mais que dire des partis de
gouvernement engagés il y a encore quelques mois dans une campagne
présidentielle où les engagements européens ne manquèrent pas ?!
Le Parti Socialiste est la seule force
politique parlementaire à pouvoir s'opposer efficacement au coup d'Etat
simplifié. Tout devrait l'y pousser : un électorat majoritairement
hostile aux dérives de l'Union européenne, la promesse de sa candidate
à l'élection présidentielle d'organiser un nouveau référendum, un
statut d'opposant qui ne peut que l'inciter à résister au pouvoir en
place et plus encore à ses abus, une identité politique qui gagnerait,
au-delà de la question européenne, à se refonder autour de la défense
d'une démocratie effectivement en péril.
Pourtant, c'est avec soulagement sinon
enthousiasme que les élus du PS, toute honte bue, voteront très
majoritairement la révision constitutionnelle et la ratification de la
Constitution-bis de Nicolas Sarkozy.
Pourquoi ce qu'il faut bien appeler
une telle trahison ? Les arguments invoqués sonnent aussi faux que ceux
des partisans de la ratification parlementaire, ils sont même parfois
identiques ! Ainsi François Hollande, qui affirme que les Français ne
souhaitent pas de référendum puisqu'ils ont élu Nicolas Sarkozy à
l'Elysée, lequel aurait annoncé la couleur à propos de la ratification
parlementaire. Mais à cette aune, pourquoi ne pas voter toutes les
réformes soutenues par la majorité ? Mieux, pourquoi ne pas proposer la
création d'un parti unique regroupant la gauche et la droite qui
soutiendrait tous les futurs présidents de la République, quel que soit
leur bord ? C'est se moquer du monde… On entend aussi que le fond (le
traité) doit l'emporter sur la forme (son mode de ratification), que le
PS doit préserver son unité (laquelle a de nouveau volé en éclats lors
de son Bureau National consacré à la question), qu'il doit contribuer à
sortir l'Europe de la crise,…
La manière dont Ségolène Royal a
retourné sa veste, moins de six mois après avoir fait campagne pour un
nouveau référendum, fut à cet égard d'un mépris et d'une lâcheté comme
on n'en avait pas vu depuis des décennies : au milieu d'une interview
fleuve accordée au quotidien Libération, lequel se garda bien de lui
poser des questions qui fâchent, celle qui se voyait avant mai 2007
comme une sorte de nouvelle Jeanne d'Arc ou l'Evita Perron de
l'Hexagone, explique en trois coups de cuillère à pot qu'il « vaut
mieux un compromis plutôt que rien. L'intégration de la Charte
européenne des droits fondamentaux est une avancée très importante.
C'est pourquoi nous devons faire bloc avec les socialistes portugais,
espagnols, allemands et les autres, et adopter ce texte au plus vite
pour passer à l'étape suivante : la préparation du traité social. La
question de la procédure d'adoption, parlementaire ou référendaire,
n'est plus une question de principe. Nous n'avons pas de temps à perdre
à nous diviser. » Ces affirmations à la sauvette, cœur de cette
interview enrobé dans plus de trois pages consacrées à sa stratégie de
conquête du PS et d'alliance avec François Bayrou, sont un tissu de
mensonge et de reniement. De quelle « intégration de la Charte »
parle-t-elle, cette dernière étant déjà inscrite dans la Constitution
Giscard rejetée en 2005 ? Quel est donc ce « compromis » par lequel 90
à 100% du précédent traité se retrouve dans le texte signé à Lisbonne ?
Quant à la tarte à la crème du « traité social », s'imagine-t-elle que
ses électeurs sont à ce point des imbéciles ou des amnésiques qu'ils en
auraient oublié qu'on les balade depuis 15 ans très exactement avec
cette mauvaise plaisanterie ? Quelle ignominie de résumer l'existence,
ou non, de la démocratie dans notre pays à une simple question de «
procédure d'adoption » (« d'adoption » bien sûr, pas le choix !), à une
simple « question de principe qui n'en est plus une » (on se demande
bien pourquoi) relégable au deuxième ou troisième plan derrière l'unité
prétendument retrouvée du Parti Socialiste ! Enfin, le devoir de celui
ou celle qui brigue la charge suprême de la République est-il de «
faire bloc avec les socialistes portugais, espagnols et allemands » ou
avec… le peuple français ?
Extrait 4 : L'Europe, un plan B avec les Etats-Nations ?
Sauf à considérer que la France est une notion dépassée, l'Europe ne
doit servir à faire à plusieurs, avec un minimum de contrainte, que ce
que l'on ferait moins bien tout seul et ce, bien sûr, sans jamais
sacrifier ses intérêts supérieurs (à commencer par la souveraineté
nationale). L'erreur fondamentale de l'actuelle construction européenne
est de poser des objectifs abstraits ou irréalisables, puis d'imposer
des politiques à marche forcée pour les atteindre artificiellement.
Construire la seule Europe qui soit vraiment réaliste impliquera de
rompre absolument avec cet état d'esprit idéologique et vaniteux, qui
prétend faire abstraction des réalités tangibles et sensibles pour
créer au forceps une nation improbable (à tout le moins). Quand
comprendra-t-on que « construire l'Europe » au détriment des nations,
c'est en fin de compte se priver et des nations et de l'Europe ?
Le temps paraît donc venu de sortir de
l'impasse communautaire actuelle (niveleuse, impotente et
moins-disante) pour choisir clairement entre un fédéralisme franc - qui
se donnerait les moyens d'une réelle solidarité continentale mais reste
invraisemblable politiquement - et une nouvelle construction européenne
respectueuse des nations, qui soit à la fois plus réaliste dans sa
finalité, plus ambitieuse dans son contenu et plus souple dans ses
modalités.
Quant à la finalité, posons d'emblée
que l'objet de toute coopération européenne véritablement démocratique
et réaliste doit être de rapprocher progressivement les peuples
européens au travers de partenariats solides et librement consentis,
mais sans jamais leur ôter leur personnalité propre. La défense
affirmée des intérêts nationaux (plutôt que la recherche contrainte
d'un improbable compromis par le bas) devrait permettre d'avancer de
manière solide et assumée, sans drame ni tension excessive. Promouvoir
l'Europe sur une telle base, c'est ainsi donner un chance
supplémentaire à chacun des peuples qui la forme et c'est la seule
manière de bâtir une « Europe-puissance » qui, en aucun cas, ne peut
reposer sur des nations affaiblies, contraintes d'assumer des
responsabilités mondiales dont elles ne voudraient pas ou à l'inverse
obligées d'y renoncer pour complaire aux Etats-Unis.
Mardi 15 Janvier 2008 - 00:04
Sylvain Lapoix