Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Mon Mulhouse2
14 janvier 2008

Badiou répond aux «tontons flingueurs»

libe

Rebonds

Badiou répond aux «tontons flingueurs»

alain badiou   philosophe.

QUOTIDIEN : lundi 14 janvier 2008

12 réactions 

«Etre attaqué par l’ennemi est une bonne chose, et non une mauvaise chose» (Mao Zedong). C’est comme dans un film. Vous êtes en paix. Vous construisez peu à peu une œuvre philosophique dense et complexe. Vous êtes parmi les rares à n’avoir jamais abandonné le style militant de la décennie rouge (1966-1976) : liaison directe des intellectuels, des jeunes et des ouvriers, trajets neufs dans les cités, les usines, les foyers, refus des élections, des places, des crédits. L’unité de la vie tient alors dans le mot autour duquel vous redéfinissez l’ambition de la pensée contemporaine, le mot «vérité». Quand on vit ainsi, dans le monde tel qu’il va, les «communicateurs» de la scène publique ne se soucient pas de votre existence. C’est que vous n’avez rien à vendre, et vous n’achetez guère. Que faire d’une vérité, disent les marchands, puisqu’elle n’a pas de prix ? Vous êtes pour eux un mélange d’archaïsme et de dogmatisme, attaché à de criminelles vieilles lunes. Vous n’êtes pas dans la course. Silence.

Pourtant, un jour, on vous envoie des porte-flingues. Parce qu’on sait que vous êtes devenu le philosophe français vivant le plus traduit et le plus demandé, et de loin ? Parce que s’annonce le déclin des imposteurs qui depuis vingt ans représentent dans les médias la «philosophie» ? Parce qu’un de vos petits livres d’intervention, De quoi Sarkozy est-il le nom, consonne avec l’humeur belliqueuse d’une fraction du «grand public» ? L’avenir de l’histoire fera le tri des raisons.

Comme les commanditaires de l’assaut ne se montrent guère, les porte-flingues ne sont pas de première force. Ils voudraient bien tirer pour tuer, cependant. Mais qu’est-ce qui tue quelqu’un, de nos jours, dans la guerre intellectuelle ? Parbleu ! L’accusation d’antisémitisme ! Voilà la bonne idée ! Qu’Alain Badiou, dont on connaît tout de même vaguement les origines, les engagements, et même ce qu’il a écrit depuis vingt-cinq ans à propos des juifs, soit antisémite, c’est peu crédible, mais essayons quand même, disent les tontons flingueurs de la nouvelle extrême droite, celle qui vient de l’ancienne extrême gauche.

Le résultat est mitigé. Il faut constamment en rabattre, dire qu’il n’est pas vraiment antisémite, mais que, quand même, il produit des «effets antisémites», et ainsi de suite. Un flop. Ne pourrait-on pas suggérer plutôt qu’il est conformiste, répressif, autoritaire ? Là, on peut faire donner la nouvelle extrême gauche, celle qui voit partout dans l’agitation moderniste et la technologie du capitalisme contemporain la fontaine de Jouvence de l’intelligence collective, celle qui est antiautoritaire pour deux, celle en somme pour qui le capital donne partout le la de sa propre contestation. On va soutenir sur ce fond plein d’entrain que Badiou est un homme de l’institution, un installé, un faiseur d’oukases qui méprise la légèreté dionysiaque des innombrables «mouvements» dont notre monde s’enchante. Evidemment, faire passer Badiou pour un chéri des institutions est singulier. Où et quand parlait-on de lui, quelles fleurs lui faisait-on, quelle était son influence chez les apparatchiks de la philosophie, qu’ils soient de la télévision ou de la Sorbonne ? Qui peut citer, dans les trois dernières décennies, une œuvre aussi continûment solitaire, qui n’a pu rencontrer son public que par la seule ressource de sa puissance propre ? Le flop de cette tentative est inéluctable. Les tireurs devront se tirer.

On remarquera alors, chose intéressante, ce qu’ils ont en commun, qu’ils viennent du démocratisme rance ou de l’anarchisme snob : ils n’aiment, ni qu’on repère dans l’histoire de France une structure réactionnaire fondamentale, que j’ai nommée dans mon jargon le «pétainisme transcendantal» ; ni qu’on dise que le mot «communisme» reste apte à nommer l’avenir politique de l’émancipation. Mon interprétation de cette convergence est qu’ils n’aiment ni l’efficace du passé historique ni la libre amplitude politique de l’avenir. Ils n’aiment que l’étroitesse du présent, de leur présent. Comme Sarkozy, à vrai dire.

Publicité
Commentaires
Mon Mulhouse2
Publicité
Archives
Derniers commentaires
Publicité