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13 janvier 2008

Demain, combien de terres stériles ?

lemondefr_grd

Marc Bied-Charreton, géographe

         
Demain, combien de terres stériles ?
         

LE MONDE | 12.01.08 | 14h33  •  Mis à jour le 13.01.08 | 21h17

Agroéconomiste et géographe, vous êtes président du Comité scientifique français sur la désertification (CSFD). Ce processus gagne du terrain à un rythme alarmant. Si rien ne vient l'enrayer, quel pourcentage des terres émergées sera touché dans vingt ans ? Les Nations unies estiment qu'un tiers des terres émergées est menacé. Aujourd'hui, 500 à 600 millions de personnes en subissent les conséquences. Ils seront deux à trois milliards à l'avenir, si rien ne change.

Sur quelles tendances s'appuient ces prévisions ?

La menace vient à la fois de l'augmentation de la population mondiale - nous allons passer de six à huit milliards d'individus -, de l'absence d'adaptation des systèmes d'agriculture et d'élevage, et des risques liés aux changements climatiques. Selon les prévisions du Groupe intergouvernemental d'experts pour le climat (GIEC), notre siècle sera marqué par des épisodes climatiques extrêmes. Les sécheresses seront plus fréquentes et plus longues.

A quoi ressembleront les zones touchées par la désertification ?

Il faut préciser d'emblée que la désertification, ce n'est pas une progression naturelle des déserts. C'est un phénomène qui se produit souvent - mais pas toujours - sur les marges des déserts, ce qui fait que l'on dit improprement que le désert "avance".

On considère qu'une terre est désertifiée quand il ne reste que 10 % ou 15 % de végétation sur le sol. Il n'y a plus d'arbres ni d'arbustes. Il reste environ une touffe d'herbe par mètre carré. Le reste, c'est du sable et des cailloux.

En fait, la désertification consiste en une perte progressive de la fertilité des sols. Ses causes sont à la fois naturelles et humaines. Le manque d'eau entraîne une baisse de la productivité des terres. Mais les activités humaines ont une grande part de responsabilité dans le phénomène, car les pratiques agricoles et d'élevage trop intensives ou inadaptées épuisent également les sols.

Quelles régions du monde sont menacées ?

Une centaine de pays sont concernés, sur tous les continents. L'Afrique l'est au premier chef. Le continent asiatique également. Toutes les franges du désert australien subissent elles aussi un déficit en eau depuis quelques années. Le continent américain et l'Europe ne sont pas épargnés : le phénomène menace un bon tiers de l'Espagne, Chypre, une partie de la Sardaigne, de la Sicile, et de la Grèce.

Quelles seront les conséquences sur l'environnement ?

Quand la végétation disparaît, le sol perd sa capacité de rétention de l'eau. Le ruissellement emporte la terre. Il n'y a plus de graines dans les sols. Toute vie disparaît. La résilience de l'écosystème, c'est-à-dire sa capacité à revenir à l'état initial, ne cesse de diminuer. C'est un cercle vicieux.

Les conséquences seront également planétaires. Une forte désertification aboutira à la mise en suspension dans l'atmosphère de millions de tonnes d'aérosols. Les dépôts de terre entraînés par l'érosion envahiront les égouts des villes et perturberont le régime de crue des fleuves. Le phénomène aggravera aussi le réchauffement climatique, car la capacité de stockage du carbone atmosphérique diminuera.

Quel sera le sort des populations qui vivent sur ces terres ?

Quand la fertilité des sols et leur capacité à retenir l'eau diminuent, les rendements agricoles baissent. Donc la ration alimentaire quotidienne baisse et le revenu baisse, qu'il provienne des surplus de l'agriculture vivrière ou de la culture de plantes commerciales. On observe dès aujourd'hui une chute des rendements en sorgho et en coton.

Pour compenser cette tendance, les paysans augmentent les superficies cultivées. Ils résolvent leur problème pour une année, mais ils réintroduisent le cycle de la désertification sur de nouvelles terres. Quand les déplacements locaux ne suffisent plus à faire vivre les familles, on envoie des gens vers les villes pour trouver du travail et envoyer de l'argent. Les bidonvilles gonflent.

La désertification peut-elle aboutir à des mouvements migratoires ?

Ils ont déjà commencé, notamment de l'Afrique subsaharienne vers le Maghreb et l'Europe. Cela conduit à des drames, et ce n'est pas une solution d'avenir. La solution, c'est que les villageois se développent dans leur village. Si l'on suit la tendance dessinée par le dernier rapport du GIEC, et si les techniques agricoles ne changent pas, on risque d'aboutir à des crises sociales terribles. Il y aura des bagarres pour la terre et des bagarres pour l'eau au sein de pays et entre pays. En désespoir de cause, les gens bougeront beaucoup plus.

La progression de ce processus est-elle inéluctable ?

Non. Il faut améliorer la gestion de l'eau et les techniques agricoles. C'est simple et assez peu coûteux. On peut empêcher l'eau de partir, grâce à de petits murets de pierre, à des diguettes, à de petites retenues. Il faut aménager les pentes pour stopper l'érosion, faire des trous dans lesquels on met du compost et où l'on plante un arbre, tous les 3 ou 5 mètres.

C'est aussi simple que cela ?

Même avec peu d'eau, quand la végétation commence à recoloniser le sol, on stoppe la spirale négative. Au bout de trois ou quatre ans, le sol est enrichi en matière organique, et on peut envisager de réimplanter une agriculture. Il n'y a pas besoin de grands aménagements. Il faut juste un peu d'engrais. Avec de bonnes pratiques, les rendements peuvent doubler ou tripler. Cela a déjà été fait sur des milliers d'hectares, c'est reproductible.

Quel pourrait être l'apport des plantes génétiquement modifiées ?

Je ne suis pas contre a priori, mais ce n'est pas un remède miracle. La génétique traditionnelle progresse dans la sélection de semences adaptées au manque d'eau. De toute façon, les paysans de ces zones ne sont pas solvables. Mieux vaut améliorer les variétés locales, et garder la technique traditionnelle, qui consiste à prélever 15 % de sa récolte comme semences pour l'année suivante.

Pourquoi les techniques élémentaires que vous décrivez ne progressent-elles pas ?

Il faut investir de 300 à 400 dollars par hectare et par an, pendant trois ou quatre ans. Les paysans n'ont pas cet argent. Ensuite, toute la difficulté vient du différé du retour sur l'investissement. Pendant les quelques années consacrées à la restauration des sols, il faudrait donner à manger aux gens, et même les payer. Ce message est très difficile à faire passer. Les gouvernements des pays concernés ont d'autres priorités. Les masses rurales sont ignorées, c'est la peur de l'émeute urbaine qui domine.

La communauté internationale agit-elle ?

L'aide publique au développement va en priorité aux infrastructures et à la santé. C'est plus visible. En plus, l'aide internationale va plutôt aux grands projets, alors que ce type de programme demande d'allouer de petits montants. Il s'agit pourtant de restaurer un bien public mondial. C'est assez désespérant, on dirait que personne ne se rend compte de la gravité de la menace.

Il faut faire comprendre que la protection de l'environnement, ce n'est pas seulement la limitation des gaz à effet de serre, ou la protection de la biodiversité, mais aussi une agriculture, une foresterie et un élevage plus productifs et aussi protecteurs de l'environnement.

Propos recueillis par Gaëlle Dupont

Article paru dans l'édition du 13.01.08.

                                 
CHIFFRES
         

40 % DES TERRES ÉMERGÉES, soit 60 millions de km2, sont des "terres sèches". Le terme désigne toutes les terres qui connaissent un déficit en eau. Elles sont à

40 % SITUÉES EN AFRIQUE, à 40 % en Asie. Le reste se trouve en Amérique latine, en Australie, et dans la zone méditerranéenne.

Parmi elles, 10 MILLIONS DE KM2 seulement sont des déserts proprement dits (soit des régions où les précipitations sont inférieures à 250 mm par an). Dix autres millions de km2 sont déjà fortement dégradés par la désertification. Sur le reste, soit

40 MILLIONS DE KM2, on estime que 70 % risquent de subir le même sort dans les années à venir.

         

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