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Mon Mulhouse2
13 janvier 2008

Benotman, écrivain, ex-taulard et sans-papiers, en plein Kafka

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Benotman, écrivain, ex-taulard et sans-papiers, en plein Kafka
                          

 

Abdel-Hafed Benotman (Sophie Chivet/Vu, reproduction interdite).En mai, lors de sa libération après quatre ans de détention, je vous parlais de l’écrivain Abdel-Hafed Benotman. Neuf mois après, toujours sans-papiers, il est en train de devenir le symbole vivant d’un mensonge sur la double peine.

Au tout début des années 2000, lorsque paraît "Eboueur sur échafaud", son deuxième ouvrage, Benotman commençait à devenir tendance, dans le milieu germanopratin: mauvais garçon, plusieurs braquages, trois grosses peines de prison, sans-papiers, bel homme, talentueux nouvelliste.

Son premier recueil de nouvelles, "Les Forcenés", publié lors d’un de ses séjours à l’ombre (en 1993, puis réédité chez Rivages en 2000), avait été préfacé par le père du polar anglais moderne, le regretté Robin Cook. Le livre sera suivi d’un ouvrage autobiographique, "Eboueur sur échafaud" en 2003, puis d’un second recueil de nouvelles, "Les Poteaux de torture". Le premier roman de Benotman, "Marche de nuit sans lune", paraît le 6 février, toujours chez Rivages.

Après le 17 janvier, l’homme doit se présenter à la préfecture de police pour renouveler son récépissé de carte de séjour, et demander la permission de travailler. Car Benotman est sans-papiers depuis 1996. Et depuis les nouvelles lois sur l’immigration de novembre, une dose d’ambiguïté kafkaïenne s'est ajoutée à son dossier.

Depuis qu’il est sorti de prison en mai, le ministère de la Justice lui ordonne de trouver un emploi pour rembourser les parties civiles. Depuis la même date, la préfecture de police lui interdit tout emploi, afin de le préserver en instance d’expulsion...

Né en 1960 à Paris, Benotman est le dernier enfant d’une famille nombreuse, arrivée d’Algérie dans les années 50. Qui, après 1962, choisira de garder nationalité algérienne. Aujourd’hui, son frère et ses deux sœurs -dont l’une est avocate- ont opté pour la nationalité française.

Incarcéré très tôt pour vols et récidive, il additionnera quatorze ans de braquages, de détention, entre cellules, évasions, quartiers d’isolement. La dernière peine, donc, entre juin 2004 et mai 2007, pour quatre braquages et un butin global de 22 000 euros.

Dès l’âge de 15 ans, à Clairvaux puis dans d’autres centrales, Benotman côtoie la crème de la voyouterie française. Il deviendra un militant de la chose carcérale (une émission radio sur une station associative parisienne, la publication "L’Envolée" envoyée aux détenus). Puis, surtout : auteur, homme de théâtre, animateur pour l’association Dire et faire contre le racisme, parrainée par Danielle Mitterrand.

Sorti de prison en mai, Benotman entendait travailler pour rembourser les parties civiles. Toute en continuant ses activités de scénariste, d’homme de théâtre et de romancier. Le militantisme en plus.

  Le 9 novembre dernier, il est convoqué à la Préfecture de Police pour être entendu dans le cadre de sa demande (jusqu’alors refusée) de titre de séjour.

Au dernier moment, s’apercevant qu’elle n’a pas respecté les délais de défense, la Commission reporte la convocation au 30 novembre. Mais entretemps est votée la loi du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile. Elle a pour conséquence une suspension des commissions du titre de séjour, en attendant leur mise en place sous une autre forme.

Contactée en décembre, la Direction de la police générale n’a pas souhaité communiquer sur le sujet: "on attend la circulaire d’application pour savoir comment seront constituées ces commissions". Jusqu’ici, elles comptaient deux députés, deux sénateurs, le vice-président du Conseil d’Etat, le premier président de la Cour de cassation, le président du Comité consultatif national d’éthique, et deux personnalités qualifiées, désignées par le Premier ministre.

Depuis, l'écrivain n'a plus de nouvelles.

Administrativement, la dernière demande de carte de séjour de Benotman n’était valable que jusqu’au 9 janvier dernier, et il faut donc le renouveler. Benotman doit donc se présenter... Risqué.

Franz Kafka is not dead

C’est que, quoique décide la Commission, l’imbroglio Benotman est trop gros. Il est en effet "protégé" par la contradiction que se portent les administrations policière et l'institution judiciaire. Cette dernière l'a  ainsi convoqué le 15 novembre, afin de faire le point sur sa peine de sursis avec mise à l’épreuve. Il s'agissait de de vérifier qu’il travaille pour s’acquitter de sa condamnation. Sauf que, donc, la Préfecture de Police, entre volonté d’expulsion et mises en touche successives du dossier, le condamne à ne pas travailler...

Du côté du ministère de la Justice et des services pénitentiaires, on refuse bien sûr de se prononcer sur le cas précis, mais on reconnaît que les deux administrations sont, sur des cas similaires, souvent contradictoires:

"ça ne nous permet pas de travailler correctement. La seule solution serait un véritable partenariat entre juge d’application des peines et Préfecture".

On ajoute même : "Il faudrait, dans ce genre de cas, pouvoir assigner la personne résidence. Pour des raisons médicales par exemple". Justement, iniquité pour iniquité, Benotman est dans une situation médicale extrêmement grave. Après un double infarctus en 1996, en prison, et un double pontage coronarien, le détenu, qu’il était -parfois en cellule, parfois en évasion- a été mal suivi. Résultat: insuffisance coronarienne.

Une santé menacée

L’Administration pénitentiaire a mis deux ans pour enfin le faire opérer: elle avait jusque là toujours prétexté une simulation et prétendu que les électrocardiogrammes étaient faux, car il ne cherchait qu’à s’évader -Benotman, sur ses plusieurs peines, totalise dix-huit mois d’évasion.

Son électrocardiogramme prouve -courbe du haut normale, courbe du bas totalement anormale- la gravité de sa nécrose du cœur. Or, ne pouvant travailler donc s’acheter ses médicaments, Benotman ne prend son traitement que très irrégulièrement.

Poussé par la police à la récidive

Certes, Benotman est un multirécidiviste. Il a enfreint une bonne partie du code pénal à lui tout seul. Il est exactement le genre de type que le gouvernement actuel veut expulser. En 1996, il avait fait l’objet d’un arrêté d’expulsion, annulé deux ans plus tard, puis réactivé en 2002. Pour lui, évidemment, "la double peine n’est pas abrogée en France".

Avec rage et trémolos, il enchaîne:

"Comment se fait-il que la préfecture de police, en m’empêchant de travailler, force un multirécidiviste à… récidiver?"

Ce que veut Benotman, bien plus que de sauver sa peau, c’est pouvoir écrire. Et donc, "puisqu’un écrivain ne peut vivre de son écriture, trouver un job d’appoint". Plus encore, il veut rester être fidèle à tous ceux qui se sont engagés pour lui (éditeur, soutiens, amis) de qui il est régulièrement obligé de refuser l’aide, pour ne pas les mettre en danger au regard de la loi.

Photos: Abdel-Hafed Benotman (Sophie Chivet/Vu, reproduction interdite).

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