Fribourg, la citadelle écologique
Pétrole. Habitat
Fribourg, la citadelle écologique
Isolation, citernes d'eau de pluie, panneaux solaires, le quartier Vauban est conçu pour subvenir à près de 70 % de sa consommation énergétique. Visite.
Par Thomas Calinon
QUOTIDIEN : dimanche 21 mai 2006
Fribourg-en-Brisgau envoyé spécial
Le voici peut-être, le
vert paradis. Fribourg-en-Brisgau, 210 000 habitants, dans le
Bade-Wurtemberg (au sud-ouest de l'Allemagne), vit déjà dans un autre
monde. Celui du développement durable. Il y a là une vraie conviction.
Dans leur enclave écologique, les électeurs votent Verts au sein d'un
Land majoritairement acquis à la conservatrice CDU. Fribourg figure en
tête des villes de plus de 100 000 habitants pour les équipements
solaires photovoltaïques, avec 31,3 watts (W) par tête. D'où son surnom
de «cité solaire», ce qui n'est pas rien vu le faible ensoleillement (1
740 heures par an contre 2 700 en moyenne dans l'arc méditerranéen
français). Du coup, élus et collectivités débarquent de toute l'Europe
à la recherche de bonnes idées. Clou de la visite : le quartier Vauban,
une quarantaine d'hectares au sud du centre-ville, l'un des premiers
«écoquartiers» européens.
Jusqu'en 1992, le terrain était
occupé, comme son nom l'indique, par l'armée française, qui l'a cédé à
l'Etat fédéral allemand, lequel l'a revendu à la ville de Fribourg. Au
moins aussi ingénieuse que l'inventeur des forteresses modernes, la
ville a profité des qualités topographiques du lieu : l'endroit est
totalement plat et circonscrit par un cours d'eau, une voie ferrée et
un axe routier à grand passage. Le nouveau quartier, dont les sols ont
été dépollués, est un site idéal pour une expérimentation grandeur
nature.
Collectif de chômeurs et d'immigrés
On
peut y pénétrer en voiture, mais on comprend vite que ce n'est pas la
bonne idée. Aux abords de Vauban, deux garages collectifs en silo sont
à disposition des résidents, dont l'un entièrement recouvert de
panneaux photovoltaïques. Autre signe : sur la seule voie pénétrante,
la circulation est limitée à 30 km/h. Une contre-allée réservée aux
cyclistes et aux piétons ainsi que les voies du tramway rappellent la
priorité donnée aux modes de transport doux. Les vélos sont
omniprésents. Ceux des parents sont équipés de charrettes, dans
lesquelles ils disposent indifféremment provisions et bébés.
Nicola
Weiss, 40 ans, secrétaire à l'université de Fribourg, habite le
quartier depuis 1999. Elle s'intéresse «à l'écologie, au social» mais
ne s'estime pas «militante». Son mode de vie parle pour elle : «Dans
mon immeuble, seules deux personnes ont une voiture. Moi, je me déplace
à bicyclette. Pour les situations où j'ai besoin d'une voiture, je suis
inscrite à l'association d'auto-partage, qui dispose d'une quinzaine de
véhicules sur le quartier. Ça me coûte 50 euros par an, plus les
kilomètres parcourus et un forfait pour l'heure d'utilisation.» Nicola
Weiss est également membre de l'association Autofrei («Sans voiture»),
qui offre une alternative à l'obligation allemande d'acheter ou de
construire une place de parking pour chaque logement neuf, contrainte
assez contradictoire avec l'esprit de Vauban. «Autofrei regroupe 428
familles qui n'ont pas de voiture, explique Hannes Lincke, son
directeur. Chacune a versé 4 000 euros avec lesquels nous avons acheté
des terrains sur lesquels nous construirons des parkings si nos
partenaires s'équipent un jour d'une voiture. C'est bien plus
économique que d'acheter une place dans les garages collectifs, qui
coûte presque 20 000 euros.»
Lancée en 1997, la construction du
quartier Vauban doit s'achever cette année. A terme, 5 000 habitants,
dont une majorité de familles avec enfants, pour la plupart issues des
classes moyennes ou supérieures. Dans la partie est, les anciennes
casernes ont été réhabilitées façon écolo par et pour les squatteurs
qui les occupaient avant la transformation. Regroupés au sein d'un
collectif baptisé Susi, étudiants, chômeurs et demandeurs d'asile y
habitent selon un mode de vie communautaire et participatif. Partout
ailleurs, les bâtiments sont neufs. Autour de l'un des nombreux espaces
verts, des particuliers ont construit des maisons en bande, hautes et
étroites, sur des parcelles de six mètres de large. Façades recouvertes
de bois, couleurs vives, larges surfaces vitrées. Tout autour, le bâti
est constitué d'immeubles collectifs, sur cinq niveaux maximum.
Toits végétalisés et balcons fleuris
A
l'exception des immeubles de promoteurs, d'aspect neutre, les
constructions étonnent par le choix des matériaux et des couleurs.
Souvent, on accède aux étages par des coursives extérieures. Les toits
sont plats et végétalisés, hérissés de panneaux solaires thermiques et
photovoltaïques. Les balcons sont fleuris, les allées bordées d'arbres
datant de la période militaire de Vauban. Les eaux de pluie sont
évacuées dans des fossés filtrants ou collectées dans des citernes de
récupération, avant d'être utilisées pour l'arrosage, le lavage du
linge et les toilettes des écoles.
Techniquement, maisons et
immeubles alignent des records en matière d'économie d'énergie et
répondent au label «Basse énergie», qui implique, à Fribourg, une
consommation énergétique maximale pour le chauffage de 65
kilowattheures (kWh) au mètre carré par an, contre 200 ou 300 pour une
construction standard. Mieux encore, certaines ont décroché le label
«Maison passive» (PassivHaus, norme allemande définissant une
consommation inférieure à 15 kWh au mètre carré par an). L'architecte
Michael Gies a obtenu le premier label PassivHaus avec son projet
Wohnen und Arbeiten («Habitat et travail»). Sur quatre niveaux,
l'ensemble est divisé en seize unités d'habitation et quatre de
travail, de 36 à 170 m2. Grandes baies vitrées au sud pour optimiser
les apports solaires, ouvertures réduites au nord afin d'éviter les
déperditions. L'isolation extérieure est renforcée, les fenêtres sont à
triple vitrage, les menuiseries à double joint et la ventilation à
double flux : pas besoin d'ouvrir la fenêtre pour aérer en hiver. Les
pièces sont lumineuses et dotées d'une généreuse hauteur sous plafond.
«Facile de construire un igloo»
«Pour
moi, explique Michael Gies, l'immeuble doit non seulement satisfaire à
un label énergétique, mais être durable au sens propre du mot. Il faut
qu'on puisse encore y habiter dans cinquante ans. C'est très facile de
construire un igloo qui répondra à toutes les normes de basse
consommation, mais personne ne voudra y vivre.» Sur le toit de Wohnen
und Arbeiten, 56 m2 de capteurs solaires thermiques et autant de
panneaux photovoltaïques. Au sous-sol, un cogénérateur produit
électricité et chaleur. Du coup, l'immeuble n'est même pas relié à la
centrale au bois de la société locale Badenova, implantée en bordure du
quartier. En hiver, la chaleur humaine et celle des appareils ménagers
suffisent presque à maintenir une température idéale. «Une fois,
raconte Michael Gies, le cogénérateur est tombé en panne alors qu'on
était en dessous de zéro. Les habitants ont mis trois jours à
s'apercevoir qu'il n'y avait plus de chauffage.» Le surcoût pour les
propriétaires est d'environ 7 % par rapport à une construction
standard, soit 2 200 euros le mètre carré, dont 400 pour l'achat du
terrain.
Officiellement, l'écoquartier Vauban est conçu pour
subvenir à près de 70 % de sa consommation énergétique. C'est bien,
mais il y a mieux. Le fin du fin, c'est le lotissement solaire de
l'architecte Rolf Disch. A l'extrême est du quartier, il a conçu un
immeuble et des triplex en bande dont les toits, entièrement recouverts
de panneaux photovoltaïques, produisent davantage d'électricité que
n'en consomment les habitants. Ça, c'est le label «Energie Plus». Un
vrai rêve écolo. Une réalité.