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Mon Mulhouse2
31 décembre 2007

2007, l'année où la com' politique a basculé

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2007, l'année où la com' politique a basculé
                                   

      

La campagne présidentielle et la méthode Sarkozy marquent une nouvelle ère. Plus moderne, plus américaine, plus people.

Candidats, médias, débats: la modernisation. La modernisation de notre vie politique du point de vue de la communication est apparue au grand jour lors de la campagne présidentielle. Ce fut d'abord un moment de renouvellement du personnel politique: pour la première fois depuis 1969, aucun des deux finalistes n’était un ancien candidat malheureux, un Président sortant ou un ancien Premier ministre. Renouvellement générationnel, aussi, avec pour la première fois trois quinquagénaires au trois premières places du scrutin.

Le Net abondamment utilisé dans la campagne

Cette situation a évidemment pesé sur les stratégies de communication. L’Internet a pour la première fois été abondamment utilisé. Ségolène Royal a misé toute sa campagne sur l’idéal de "démocratie participative" dont le vecteur principal fut la consultation en ligne, via des forums participatifs. Elle est allée jusqu’à prétendre que son programme était le fruit de la synthèse des milliers de discussions et propositions reçues.

Durant la campagne, les cybermilitants ont été organisés selon un plan de bataille: certains étaient chargés de surveiller les forums des adversaires et de faire remonter des arguments échangés pour y trouver des parades, d'autres de répondre sur des forums, etc.

Pour François Bayrou, l’Internet a été présenté comme un vecteur d’égalisation des situations, pour celui qui a fait des médias traditionnels une cible et un argument de campagne. Les médias, argue-t-il alors, sont aux mains des puissances industrielles qui favorisent son adversaire UMP; les journalistes restent prisonniers d’un schéma gauche droite (PS/UMP) qui ne lui permet pas d’occuper l’espace médiatique qu’il mérite.

Quant à Nicolas Sarkozy, il a progressivement trouvé un usage spécifique de son site de campagne. L’UMP a compris plus vite que les autres partis, l’utilité de la bataille sur le Net, avec par exemple l’achat de noms pour faire aboutir les recherches Google sur son site, ou encore les adhésions express par électronique et le marketing politique par mail ou SMS. L’innovation est venue de la montée en puissance de la NSTV, une "télévision" à la gloire du candidat, faite de centaines de reportages vidéos: meetings, visites, déclarations, témoignages de soutien...

Deux débats entre les deux tours

Dans ce contexte, l’innovation du second tour de la présidentielle 2007 fut de livrer non pas un mais deux débats télévisés, avec en apéritif un débat entre Ségolène Royal et François Bayrou. Débat qui faillit ne jamais avoir lieu (à cause des règles de contrôle du CSA sur l’égalité des temps de parole des candidats), mais que BFM diffusa finalement. Plusieurs médias internet s’étaient d’ailleurs proposés pour l’organiser, si la diffusion sur les ondes télévisuelles s’avérait impossible.

La mise en scène du premier débat était inhabituelle, la disposition des tables et le contexte évoquant davantage une discussion de salon autour d’un thé, que l’affrontement dual en face à face, comme ce fut le cas pour le second débat Royal/Sarkozy, de facture plus classique.

Mais si le premier débat fut un coup médiatique, il en reste l’impression d’un coup d’épée dans l’eau: aucun projet d’alliance électorale ou gouvernementale n’en est ressorti. François Bayrou s’est employé à conserver sa position ni droite ni gauche, soulignant tour à tour ses points de rapprochement avec la candidate socialiste et ses points de désaccord.

La colère de Ségolène Royal

Le débat entre les deux tours (Stringer France/Reuters).Lors du second débat, l’histoire retiendra, comme toujours, un passage, celui de la colère de Ségolène Royal. Les commentateurs s’employant à percer un mystère: était-elle feinte et préparée ou non? Les deux protagonistes ont rejoué, en quelque sorte le fameux débat Laurent Fabius/Jacques Chirac, préparatoire à la campagne des législatives de mars 1986.

Nicolas Sarkozy était accusé par tous ses adversaires d’être autoritaire et cassant, et de flirter avec les thèses du Front national. Il a donc choisi de se montrer courtois en toute circonstance, de se contrôler, de ne surtout pas déraper, donnant régulièrement du "madame Royal" à son adversaire.

Celle-ci passe pour une femme de caractère certes, mais ses adversaires la présentent alors comme connaissant mal ses dossiers, manquant de pugnacité pour un rôle de chef de l’Etat trop grand pour elle. Du coup, elle décide d’être sévère, d’attaquer, d’essayer, comme l’avait fait Laurent Fabius en 1985 d’exciter son adversaire, pour le faire sortir de ses gonds, pour montrer son "vrai visage". Dans les deux cas, la tactique s’est retournée contre eux. (Voir la vidéo.)


La stratégie du roseau de Sarkozy

Ségolène Royal a été félicitée au soir du débat par ses amis du PS et ses supporters. Ils considéraient qu’elle avait dominé le débat; à l'inverse, des cadres de l’UMP avaient trouvé leur candidat trop dominé. Mais c’est justement parce qu’elle a gagné le débat qu’elle a perdu l’élection. Après avoir réussi à imposer l’image d’une femme d’ouverture, dialoguant dans une certaine proximité avec François Bayrou, elle a cassé cette image auprès des électeurs de centre droit, en se montrant par trop pugnace, voire un brin arrogante, d’autant qu’elle ne maîtrisa pas la totalité de son argumentaire, comme les journalistes l’ont souligné dans les heures qui suivirent.

Nicolas Sarkozy n'a pas manqué de  souligner les défauts d’une telle posture :

"Pourquoi regardez-vous toute personne qui n'a pas votre opinion avec ironie, avec mépris?"

La stratégie du roseau adoptée par Nicolas Sarkozy, forme de soumission volontaire, fut pour lui bien plus payante, puisqu’elle lui permit de rompre avec une image dure que la débauche de clips "sarkostiques" sur Internet avait puissamment contribué à installer. A cet égard, nous préférons retenir de ce débat un extrait emblématique et pas assez souligné dans la presse du lendemain, un échange en tout point étonnant et inhabituel, où l’un des candidats flatte l’autre et où un dialogue quasi sado-maso s’esquisse :

Nicolas Sarkozy: Vous n'avez pas besoin d'être méprisante pour être brillante. 

Ségolène Royal: Je connais vos techniques. Dès que vous êtes gêné, vous vous posez en victime.

Nicolas Sarkozy: Avec vous, ce serait une victime consentante!

Ségolène Royal: Tant mieux, au moins, il y a du plaisir.

Bien sûr, comme pour toute élection, les stratégies de communication ne sont pas le seul et principal facteur explicatif du résultat du vote, mais on peut à bon droit souligner que Nicolas Sarkozy a su mieux gérer la sienne.

De plus, Ségolène Royal est finalement partie avec un handicap que le Parti socialiste ferait bien de méditer à l’avenir. Elle a gagné une primaire interne assez dure, bien médiatisée, y compris avec des débats à trois à la télévision. Ce qui pourrait passer pour un atout -elle sort renforcée dans sa légitimité- s’avère un facteur de fragilisation.

En effet, l’UMP avait mis en place une cellule de veille des propos de campagne des trois socialistes et a pu ainsi se constituer un stock d’arguments hostiles à resservir au candidat désigné par les militants. Le procès en incompétence nourri contre la candidate socialiste, mettant en scène ses "bourdes", ses déclarations supposées à l’emporte-pièce, a ainsi pris naissance lors de la campagne interne au PS.

Surmenage, débauchage, langage: l'américanisation. Une fois élu président de la République, Nicolas Sarkozy a tout de suite imposé un style nouveau à l’Elysée. Il se pose en rupture avec la tradition républicaine faisant du Président une sorte de monarque, prenant de la hauteur, assurant "par son arbitrage" comme le professe l’article 7 de la Constitution, le bon fonctionnement de nos institutions.

Depuis son entrée au ministère de l’Intérieur en 2002, Nicolas Sarkozy se positionne sur un créneau dont il ne se départit jamais: il est l’homme de l’agir. Répondant à une des critiques fortes et rémanentes de l’opinion publique vis-à-vis de notre classe politique: ils sont incapables de faire changer les choses; Nicolas Sarkozy entend être vu agissant.

Il a multiplié les déplacements sur le terrain, les rencontres, les participations directes à des opérations de surveillance, de contrôle… Il a mis en place une série d’indicateurs de traitement de la délinquance afin de pouvoir chiffrer l’efficacité de son action, en imposant une logique du chiffre aux policiers (au prix de quelques torsions parfois, pour aboutir au résultat escompté, celui d’une baisse de la délinquance statistique).

Une ouverture qui rappelle la vie politique américaine

Cette conception de la politique, il l’a importée à l’Elysée, en se présentant comme un homme d’action, présent sur tous les terrains, au point de mettre dans l’ombre le Premier ministre et la plupart des autres.

Cette très forte présidentialisation de la Ve République la fait, du coup, ressembler beaucoup au système américain. Le président se veut pragmatique, homme d’action avant tout, qui s’engage pour quatre ans à changer les choses sur quelques points précis.

Pragmatisme qu’on retrouve dans la volonté d’ouverture gouvernemental, faisant sauter le clivage gauche droite autour de l’idée d’hommes de bonne volonté et de convictions capables de s’entendre sur un projet. De même, aux Etats-Unis, la séparation entre démocrates et républicains n’a rien d’une barrière intangible, tout au contraire, les points d’accord sont souvent nombreux.

Une mise en avant du corps du Président

Nicolas Sarkozy en jogging à New York (Eric Thayer/Reuters).Cette américanisation on la retrouve aussi dans le style beaucoup plus décontracté, moins guindé, que le nouveau Président impose. La mise en scène de son énergie passe par la mise en avant de son corps. L’arrivée en tenue de jogging à l’Elysée avec son Premier ministre, ou son jogging à New York lors d’une visite aux Etats-Unis, sont ainsi les marqueurs d’une volonté de rupture avec le style compassé des anciens Présidents, même si Valery Giscard d’Estaing avait, en son temps, fait des efforts pour être vu jouant au foot ou se baignant.

L’idée que le Président doit faire preuve d’énergie et manifestée par son attitude corporelle. Cette faculté à agir est omniprésente dans la vie politique américaine, où le Président et les candidats à la présidence font assaut de mises en scène de leurs activités sportives (VTT, golf, jogging…) ou encore de leurs facultés à danser, comme récemment à la télévision, dans des émissions de show, avec Barack Obama ou son adversaire républicain Rudolph Giuliani.

Américanisation de notre vie politique, aussi, dans la façon de s’exprimer: Nicolas Sarkozy souhaite démentir une critique faite en permanence à la classe politique, "ils sont trop éloignés de nos réalités", "pas des gens comme nous"... Dans sa façon de s’exprimer et de s’habiller (souvent en chemise et sans cravate), il entend abolir le sentiment de distance que des personnalités comme le général de Gaulle ou François Mitterrand s’employaient, eux, à entretenir

D’un abord facile, parlant comme tout le monde ("racaille") Nicolas Sarkozy veut incarner un style direct, voire familier, comme ce 6 novembre, lors de ce dialogue avec un marin-pêcheur qu’il tutoie d’emblée et menace sur un ton qui évoque plus une altercation de cités que la docte parole présidentielle:

"C'est toi qu'as dit ça, ben descends un peu le dire, descends un peu! Si tu crois que c'est en insultant que tu vas régler le problème des pécheurs, et bien pé-permets moi de te dire... bien viens, viens, viens qu'on discute!" (Voir la vidéo.)


Il faut noter au passage un élément de contradiction dans la communication présidentielle. L’ostentation dont il fait preuve dans ses goûts (Rolex au poignet, dîner au Fouquet’s, vacances sur un yacht prêté par un riche industriels ami…) infirment partiellement sa volonté de se montrer "comme tout le monde".

Cécilia, Carla, et caetera: la "monégasquisation". Le propre du marketing politique est de vouloir vendre une personnalité autant sur ses qualités personnelles que sur son programme. Dès 1965, avec la première campagne pensée d’un point de vue publicitaire et marketing, Jean Lecanuet a été mis en scène dans sa vie privée, en famille. Valery Giscard d’Estaing fera de même en 1974, avec sa première affiche, aux côtés de sa fille.

Plus tard, au milieu des années 80, TF1 pour concurrencer le succès de l’émission politique phare de l’époque, L’Heure de vérité (sur Antenne 2), inventa "Questions à domicile", émission commençant par un visite des appartements privés de l’invité politique, ou plutôt de l’invitant.

Dévoiler son chez soi était présenté comme une façon de mieux comprendre la personnalité de l’interviewé. La "pipolisation" de la vie politique n’est donc pas un phénomène entièrement nouveau , si on la considère sous l’angle du dévoilement de l’intimité. Mais ces deux dernières années marquent incontestablement un tournant.

Le boomerang de la "pipolisation"

En effet, si les hommes politiques ont pu mettre eux-mêmes en scène leur vie privée, au mieux de leurs intérêts du moment, le boomerang semble leur revenir au visage, singulièrement à celui de Nicolas Sarkozy. Ayant mis sous les feux de la rampe sa femme et son fils Louis, Nicolas Sarkozy s’est exposé à voir sa vie sentimentale être déballée sans contrôle.

Paris Match a publié le 25 août 2005 des photos de Cécilia Sarkozy et de son ami présumé du moment, Richard Attias, prises à New York et à Paris, sous le titre "L'heure du choix". Le Journal du Dimanche a pu aussi s’intéresser à l’absence d’émargement de Cécilia Sarkozy sur les listes électorales de son bureau de vote, prouvant ainsi qu’elle n’avait pas été voter pour son mari à la présidentielle.

Information qu’il ne serait venu à personne de vérifier avant... (elle a finalement été censurée au JDD avant que Rue89 ne révèle l'affaire). De la même manière, le magazine people Closer a-t-il décidé de publier des photos du couple Hollande-Royal à la plage, montrant donc la candidate à l’investiture du PS en bikini, en août 2006.

Les tabloids ont élargi leur "clientèle" au personnel politique

La concurrence introduite par une nouvelle génération de titres "people" pousse sans doute à étendre le marché des gens ciblés. Les femmes et hommes politiques en font désormais partie. La vie de couple tumultueuse du président Sarkozy offre à la presse un excellent prétexte à trouver cette pipolisation des politiques légitime. L’annonce du divorce présidentiel, le 18 octobre 2007, était inédite. Elle ouvre la voie à une ère nouvelle, celle d’une monégasquisation de notre vie politique, la vie sentimentale du Président devenant aussi épiée que celle du prince et des princesses du Rocher.

Nicolas Sarkozy et Carla Bruni en Egypte (STR New/Reuters).Là où une sorte d’omerta régnait dans les rédactions concernant la vie sentimentale et sexuelle des hommes politiques (la fille cachée de François Mitterrand a été un secret de Polichinelle bien gardé durant des années), la liaison d’à peine un mois avec le mannequin Carla Bruni fait très vite la une des journaux, suivant une logique de dévoilement qui tient du "forcé-négocié".

Les paparazzis planquaient devant chez la chanteuse et la filaient, faisant en sorte que le couple n’avait plus d’autre choix que d’essayer de maîtriser ce qui pouvait l’être: le lieu de l’officialisation de leur idylle, en l’occurrence le très américain, familial, convivial, Eurodisney.

Le temps des vacances devient politique

Le temps des vacances, celui de la disparition provisoire de la scène publique devient donc aussi un temps politique, Nicolas Sarkozy livrant de bonne grâce ou à son corps défendant des images de lui, au repos ou en visite, sur un yacht ou dans un hôtel, aux Etats-unis ou en Egypte, avec Rachida Dati ou Carla Bruni, nourrissant les commentaires, les allusions, les suspicions, alimentant des chroniques qui n’ont plus rien de politiques.

Nul doute que l’année 2007 marque une année de rupture dans la conception de la fonction présidentielle. La personnalité de Nicolas Sarkozy y est pour beaucoup, mais d’autres facteurs jouent. Ce sont aussi les effets -pas toujours bien anticipés- du quinquennat, renforçant de fait la présidentialisation et la personnalisation du régime.

Un effet générationnel

Ce sont encore les effets d’un renouvellement de génération. L’arrivée d’un personnel né après la guerre, qui a toujours connu la télévision, qui a découvert le militantisme non pas dans le maquis, sur les barricades, mais sur les plateaux, à qui il ne viendrait même pas à l’esprit de critiquer le recours aux ressources du marketing à des fins politiques. L’arrivée enfin d’une génération qui, si elle croit à la politique, est quand même porteuse d’une certaine forme de désenchantement, au profit d’un discours de la proximité, de la banalisation de la politique.

Vers une dépolitisation?

Ce positionnement rencontre sans conteste un public mais n’est-il pas, à terme, lourd de menaces sur un futur regain de désenchantement, sur une banalisation qui irait jusqu’au désintérêt, jusqu’à une franche dépolitisation? Peut-être Coluche a-t-il eu le tort d’avoir raison trop tôt lorsqu’il s’écriait en 1980:

"Les hommes politiques sont des clowns, alors votez pour un clown!"

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