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Mon Mulhouse2
29 décembre 2007

La "mission" de Wyclef Jean

Wyclef Jean lors d'un concert à Hollywood, le 23 mai 2006. | UPI/GAMMA

UPI/GAMMA

Wyclef Jean lors d'un concert à Hollywood, le 23 mai 2006.

Entretien

         
La "mission" de Wyclef Jean
         

LE MONDE | 28.12.07 | 17h42  •  Mis à jour le 28.12.07 | 17h42

A vec The Score (1997), deuxième opus des Fugees, le groupe dont il était la tête pensante au côté de Lauryn Hill et de Pras, Wyclef Jean détient encore - avec environ 15 millions d'exemplaires écoulés - le record de l'album le plus vendu de l'histoire du rap. Devenu artiste solo depuis ce triomphe, ce New-Yorkais, né à Haïti en 1972, a démontré ses talents éclectiques de producteur, auteur-compositeur, interprète, fan de musiques caraïbes et de jazz. S'il manie la vantardise aussi bien que les grandes figures du rap, Wyclef Jean est un collaborateur recherché au-delà du milieu hip-hop (Sinead O'Connor, Mick Jagger, Carlos Santana, Shakira, Ziggy Marley...). Il se consacre aussi à sa fondation, Yéle Haïti, venant en aide aux enfants de son île natale. Le Monde l'a rencontré à l'occasion de la sortie de son sixième album, Carnival Vol. II, Memoirs of an Immigrant.

Pourquoi vos créations musicales revendiquent-elles régulièrement votre identité d'immigré haïtien ?

L'histoire de mes parents, de leur arrivée en Amérique, de leur lutte pour s'en sortir, est celle de tous les immigrés. Celle qui a permis à l'Amérique et au monde d'avancer. Mon père a fait les boulots dont personne ne voulait : nettoyer les toilettes de restaurants, construire un immeuble sous la neige...

Je crois en la loi et en l'ordre, mais si quelqu'un a servi un pays pendant vingt-cinq ans et qu'il n'a pas violé la loi, pourquoi le traiter comme un ennemi ? Pourquoi lui faire sentir son statut d'étranger ?

Quand avez-vous pris conscience du pouvoir de la musique ?

A partir de 13 ans. Je me suis plongé dans Bob Marley, Peter Tosh, les I-Threes... Le reggae m'a aidé à définir ma mission, c'est sans doute le genre musical qui me ressemble le plus. Il représente l'essence même de la vie spirituelle.

Vous vous êtes d'abord fait connaître comme rappeur. Quel lien voyez-vous entre le reggae et le hip-hop ?

Dans mon quartier, tout cela allait ensemble. Le rap a permis à toutes les cultures de s'exprimer, de dire leurs peines, leurs joies, leurs espoirs. Quand j'écris un gros succès pop comme Hips Don't Lie, en duo avec Shakira, le passage rap me permet de faire passer un message plus politique.

Pourquoi inviter autant de monde sur vos disques ?

Je suis à la fois interprète, producteur, auteur-compositeur. Peu importe qui chante le "hit", si c'est moi qui l'écris. Je vois qui est le plus apte à l'interpréter.

Je répète souvent aux gamins qui font de la musique : "Faites en sorte d'écrire votre chanson !" Regardez, Carlos Santana remplit des stades. Mais chaque mois, grâce à la chanson Maria Maria que je lui ai écrite, je reçois un chèque qui me rapporte autant que la recette de ces stades.

Comment gérez-vous tout cet argent ?

J'avais 20 ans quand j'ai commencé à en gagner beaucoup. Toucher à cet âge 500 000 dollars par semaine, c'est perturbant. Mon éducation m'a permis de garder les pieds sur terre. Ma mère m'aurait filé une raclée si j'avais commencé à flamber. Mon premier gros chèque était de 1,5 million de dollars. Je l'ai apporté à mes parents en leur disant : "Ceci est pour vous, achetez-vous une maison." Ma mère s'est évanouie.

Quand avez-vous commencé à financer des projets humanitaires pour Haïti ?

J'ai d'abord cherché à investir mon argent aux bons endroits, en ouvrant aussi des comptes à l'étranger. Puis je me suis dit : "Et mon pays ?" L'idée de la Fondation Yéle m'est venue quand j'ai emmené les Fugees à Haïti, en 1997. J'y ai investi plusieurs millions, puis j'ai cherché à la rendre viable. Mieux vaut apprendre aux gens à pêcher que de leur donner du poisson. Yéle Haïti s'occupe de programmes éducatifs, de scolarisation. Il existe aussi un programme pour la formation des athlètes. Yéle a aidé à pacifier des ghettos comme la Cité soleil.

Pas de problèmes avec les politiques locaux ou avec les gangs ?

Le gouvernement haïtien m'a donné un passeport diplomatique. J'ai été nommé ambassadeur spécial, chargé de l'image d'Haïti à l'étranger. Je ne vais pas là-bas pour concurrencer les politiques. Sur place, c'est parfois un travail dangereux. Je me suis une fois retrouvé face à des tueurs en cagoule. L'un d'eux m'a dit : "Regarde-moi dans les yeux et dis-moi que tu n'as pas peur. Tu pourrais bien ne pas sortir d'ici." Je lui ai répondu : "Laisse-moi te dire qu'il n'a jamais été question de partir d'ici mais de venir ici, te dire de poser tes armes. J'ai besoin de toute la communauté." Les autres ont commencé à frapper leurs armes au sol en signe d'approbation.

Y a-t-il une chance pour que les Fugees sortent un jour un nouveau disque ?

J'ai été très déçu par l'expérience de reformation et de tournée que nous avions entreprise, il y a deux ans. Lauryn Hill donnait l'impression d'être ailleurs. Chaque jour, nous nous trouvions devant une personne différente. Je connais Lauryn depuis qu'elle a 14 ans, nous sommes sortis ensemble quand elle en avait 17. Son premier album solo, The Miseducation of Lauryn Hill, parle de cette relation. Je crois que, tant qu'elle n'aura pas subi d'examen psychiatrique, il y a peu de chances d'entendre un nouveau disque des Fugees.

Propos recueillis par Stéphane Davet

Article paru dans l'édition du 29.12.07.

         

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