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Mon Mulhouse2
8 décembre 2007

Politiques et sondeurs: les liaisons sulfureuses

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Politiques et sondeurs: les liaisons sulfureuses
                                   

      

Proches de politiques qui sont aussi leurs clients, les instituts de sondage font-ils le vote, comme les en accuse Royal?

  Sarkozy, Giacometti et Royal (Ipsos, Reuters)

Aux dernières élections, "il ne fut pas indifférent que Laurence Parisot dirige l’Ifop, que Vincent Bolloré soit le principal actionnaire de CSA ou que Nicolas Bazire ait un pied chez Ipsos. Tous trois étaient de fervents supporters de la candidature de Nicolas Sarkozy, qui fut, avant et pendant la campagne, de loin le plus gros client des sondeurs", écrit Ségolène Royal dans son livre "Ma plus belle histoire, c’est vous" où elle écorche encore Opinionway qui "a des liens à l’UMP" et "livre, clés en main, des sondages plébiscitaires à l'interprétation pré-mâchée".

Ce n’est pas la première fois que le perdant d’une élection met en cause la proximité des instituts de sondage et des politiques. Il suffit de revoir la soirée électorale du 23 avril 1995. Pierre Giacometti, alors directeur politique de l’institut BVA, se fait allumer sur le plateau d’Antenne 2: "Il est difficile d’être un expert indépendant et de travailler pour un candidat", lui lance Nicolas Sarkozy. En campagne pour Edouard Balladur, il laisse entendre que Giacometti a œuvré au succès de Jacques Chirac au premier tour.

Giaco et Sarko vont au resto

Douze ans plus tard, Pierre Giacometti, désormais directeur général d'Ipsos, faisait partie des invités au Fouquet’s lors la soirée de victoire électorale du nouveau président. Le directeur d’Ipsos compte effectivement parmi les architectes de la victoire de Nicolas Sarkozy. Dans son livre "L’aube le soir ou la nuit", Yasmina Reza relate l’état d’esprit de Sarkozy en attendant le premier tour. "Ce que me dit Giacometti: on est sûr que les deux premiers, c’est elle et moi. Si Le Pen est bas, c’est la réussite de notre stratégie." Une quinzaine de pages plus loin, on retrouve Pierre Giacometti avec Nicolas Sarkozy et Claude Guéant, entre les deux tours: "On me tape tellement dessus", dit Sarkozy. "Ca c’est très bien", lui répond Giacometti. Il le conseille sur le débat à venir: "Sur la forme, moins tu l’interromps mieux c’est. Ecoute, sérénité, respect", et encore: "Les Français pensent qu’elle n’est pas dans le réel. Toi tu es dans le concret. Dites-nous, précisez-nous."
A présent, le monde des études bruisse de rumeurs sur l’avenir de "Giaco" que l’on croise régulièrement à l’Elysée et que l'on dit partant d'Ipsos… "Pour le moment, il n’y a rien d’officiel", nous assure son assistante, interrogée sur le sujet. Pierre Giacometti n’a pas souhaité nous répondre, mais les autres instituts que nous avons contactés se défendent d’avoir fabriqué la victoire de Sarkozy.

Ségolène Royal a aussi tourné aux sondages

Laurence Parisot a téléphoné à Nicolas Sarkozy pendant la soirée électorale? "Je pense qu’ils ont tous appelé!" répond Jérome Fourquet, directeur des sondages d’opinion de l’Ifop. "Nicolas Bazire est administrateur indépendant d’Ipsos, il passe trois fois par an", nous dit Jean-Marc Lech chez Ipsos. A l’idée que Ségolène Royal décrive Nicolas Sarkozy en premier consommateur de sondages, il éclate de rire: "La deuxième consommatrice c’est qui?"

Les comptes de campagne publiés au Journal officiel indiquent même que, contrairement à ce qu’écrit Ségolène Royal, sa campagne n’a pas dépensé moins en sondages que celle de Nicolas Sarkozy: 836807 euros pour la candidate du PS, 527800 euros pour celui de l’UMP (des chiffres à prendre avec des pincettes, assure le directeur d’un institut: "Il faudrait y ajouter les tests d’argumentaires ou de propositions commandés par les partis"). Dans un entretien au Monde, il y a un an, Ségolène Royal reconnaissait s’être penchée sur les sondages à l’époque où elle était conseillère de Mitterrand: "J’étais la seule à m’y intéresser."

Le cas Opinionway

Ségolène Royal épingle aussi Opinionway "nouveau venu particulièrement zélé". Lancé par des anciens d’Ipsos il y a huit ans, l’institut est entré il y a un an et demi dans le club fermé du sondage d’opinion que six entreprises (Ipsos, Ifop, BVA, CSA, Louis Harris, TNS Sofres) se partageaient depuis une vingtaine d'années.

Opinionway a été critiqué méthodologiquement parce que ses sondages sont réalisés en ligne, quand seulement 60% des Français ont accès à Internet. La plupart de ses concurrents prennent sa défense sur le sujet, rappelant que tous les instituts en font sur d’autres sujets que la politique et que les autres méthodes d’interrogation ont aussi des biais. "C’est plus facile de dire à un ordinateur qu’à un enquêteur qu’on a voté Le Pen", apprécie un concurrent.

Graphes à l’appui, Hugues Cazenave nous présente les résultats du sondage d’Opinionway après le deuxième débat: Ségolène Royal est à 31% d’opinions positives, Nicolas Sarkozy à 53%. "Ifop et BVA ont donné des résultats plus bas à Ségolène Royal." Ces scores, insiste-t-il, le placent au milieu de ses concurrents. Il estime qu'il a été dans la ligne de mire parce qu'il était le premier à publier ses résultats grâce au recueil en ligne (il s’est aussi défendu dans une lettre à Ségolène Royal).

"Je leur reproche de n’avoir fait que des posts-tests garantis sur facture", note Jean-Marie Lech chez Ipsos à propos du travail d'Opinionway pendant la campagne électorale. Autrement dit, recueillir les points de vue de ceux qui ont regardé une intervention de Nicolas Sarkozy à la télévision produira probablement des résultats positifs parce qu’on interroge ceux qui ont souhaité le regarder et l’ont regardé jusqu’au bout. "C’est une astuce commerciale, on l’a fait pour Mitterrand et 'Ca nous intéresse Monsieur le président'", se souvient Jean-Marc Lech au passage.

Pour Hugues Cazenave, les questions et leur exploitation éditoriale relèvent de la responsabilité des médias qui commandent ces sondages.

Un "suicide économique"

Enfin, dans son livre, Ségolène Royal reproche aux instituts d’avoir bien choisi les occurrences des sondages: rien sur le "calamiteux voyage de M. Sarkozy aux Etats-Unis", regrette t-elle, alors qu’elle accuse la formulation des questions sur l’incident de la Gare du Nord d’avoir favorisé Sarkozy. A Ipsos, Jean-March Lech considère que l'événement marque de fait un tournant dans la campagne: les incidents de la Gare du Nord suscitent "des interrogations dans la campagne de Royal" et "48 heures après (sous la forme d’un sondage), manchette dans le Figaro: c’est Sarko qui a raison".

A Opinionway, Hugues Cazenave rétorque encore qu’il serait "économiquement suicidaire" pour un institut d’être marqué politiquement, le marché français ne permettant pas à un institut de ne travailler que pour un parti (il n’a pas caché souhaiter travailler avec de médias de gauche ou indépendants pour corriger l'image à droite de son institut). D’autant que les instituts ne réalisent qu'une petite partie de leur chiffre d'affaires grâce aux sondages d'opinion: mais cette activité leur apporte la visibilité et la notoriété pour réaliser le gros de leurs revenus sur les sondages de grande consommation.

La proximité de Giacometti et Sarkozy met t-elle l’Ipsos en danger de perdre des clients? Ipsos a toujours "joué l’Elysée", dit un de ses concurrents, en référence entre autres au baromètre confidentiel qu’il réalise pour la présidence depuis François Mitterrand. Jean-Marc Lech ne nie pas: "Le premier compte dans la vie politique c’est l’Elysée. La première société doit avoir le premier compte." Mais il rappelle que d’autres membres d’Ipsos travaillaient pour la campagne de Ségolène Royal et qu’il a souhaité, lors de la dernière campagne, tester le système des "pollsters" à l’américaine (sondeurs attachés à un parti) en détachant une personne au siège de campagne de Ségolène Royal. "Ils sont côtés en bourse, ils ne vont pas s’amuser à mettre tous leurs œufs dans le même panier au premier tour", confirme Jérôme Fourquet à l’Ifop à propos des clients de l'Ipsos.

La commission des sondages doit rendre jeudi prochain son rapport annuel. A propos de ce qu’écrit Ségolène Royal laissant entendre que les instituts aient pu favoriser un candidat, le secrétaire général de la Commission, Matthias Guyomar, affirme n’avoir "pas eu quoi que ce soit qui puisse permettre de corroborer ce type d’accusation". Quant à la proximité de Nicolas Sarkozy et Pierre Giacometti, il fait valoir qu’"il n’y a pas de règle qui interdise le cumul de telle ou telle fonction. Nous contrôlons les sondages, pas les sondeurs".

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