Besson, Bockel, Cavada… traîtres ou éclaireurs ?
Besson, Bockel, Cavada… traîtres ou éclaireurs ?
Les Progressistes, la Gauche moderne, le Nouveau Centre, le Parti
radical… Le label « à la gauche de Sarko » suscite bien des OPA.
Objectif lointain : devenir une sorte d'UDF alliée au parti du
Président, sachant que ce dernier est tout à fait disposé à aider ceux
qui seront les plus crédibles dans la finalisation de ce casting
politique. A plus court terme, exister à la cour et, au besoin, trouver
une combine pour financer son groupuscule, comme l'imaginatif Nouveau
Centre d'André Santini y est parvenu en passant une robe tahitienne
dans un coin de l'Assemblée…
On a bien du mal à distinguer, sur le
plan des idées, ce qui différentie ces particules de poussière de
partis politiques. Pour donner une idée de l'ambiance, Jean-Marie
Bockel, l'heureux papa de « Gauche moderne », a le plaisir de faire
savoir – au Fig' Mag, il faut ce qu'il faut – que son parti, nouveau
terme pour désigner dix énergumènes se réunissant dans un grand hôtel
avec les sous de l'Elysée, compte dans ses rangs un ex-PS éternel
candidat malheureux à la Mairie de Marseille, Philippe Sanmarco, un
premier secrétaire du PS toulois (et non toulangeau ou touliste) David
Melloni, l'élégant Georges-Marc Benamou, que son ego démesuré a sans
doute empêché de rejoindre les radicaux de Borloo, ou même l'épouse de
Max Gallo. Il ne manquait qu'un cousin du Président, mais à ce
compte-là, le cousin du Président est beaucoup trop cher pour la bourse
du maire de Mulhouse…
En cet automne donc, les traîtres poussent dru dans le «
champ politique », et ce n'est pas fini puisque Saint-Germain bruisse à
nouveau du ralliement de Jack Lang. Ces Ganelon de la politique
provoquent un irrésistible désir de se foutre de leur fiole tant leurs
gesticulations fleurent, pour de vrai, le – petit – cadavre pas du tout
à la renverse. Mais on ne le doit pas : le destin des Bockel, Besson et
autres Cavada ou Morin est plein d'enseignements sur la, ou les,
alternatives possibles à Sarkozy. Car, à écouter attentivement les
opposants socialistes ou même Modem à la majorité présidentielle, on se
dit que le choix des ralliés au sarkozysme ne trahit pas seulement un
incontestable arrivisme..
Une opposition de forme
Le Traité simplifié ? Bayrou comme Royal ont claironné pendant toute la
campagne leur opposition à tout nouveau traité qui ne serait point
ratifié par le peuple. Les deux pensent, font-ils savoir, toujours la
même chose, mais ne jugent pas utile de s'opposer à l'adoption
parlementaire d'un traité que le peuple a refusé, sans doute au nom
d'une forme d'honnêteté intellectuelle : ils n'auraient pas fait
différemment que le Président.
La fin des régimes spéciaux ? Le PS comme le Modem sont
d'accord, et cantonnés à des réserves de forme, l'antre de la mauvaise
foi en politique.
La réforme des universités ? Le projet Sarkozy a été érodé
par tous les bouts. Il n'en reste que la possibilité offerte aux
présidents d'université de se représenter pour un second mandat. Au nom
de cette incroyable audace – qui maintient intacte la mission confiée à
nos universités de faire garderie d'adolescents attardés –, l'Etat
distribue des milliards pour rénover et repeindre les bâtiments, ce
qui, il est vrai, n'est pas un luxe.
Le pouvoir d'achat ? Le gouvernement signe des chèques
pour relancer la croissance, en partie avec avec l'argent de l'Etat
(l'augmentation du tarif des heures sup' dans la fonction publique, le
rachat de RTT des fonctionnaires), en partie avec celui des autres (les
augmentations négociées contre le renoncement aux 35 heures, l'abandon
des cautions lors de la location de logements, le changement d'indice
immobilier). Ici, les critiques des socialistes et du Modem portent
surtout sur le manque de rigueur budgétaire du sarkozysme. Car il faut,
hélas, se rendre à l'évidence : les deux partis sont encore plus
orthodoxes que les gouvernants sur le plan de la politique économique.
Les médias ? Nicolas Sarkozy a encouragé l‘OPA de LVMH sur les Echos,
refusé de recevoir le Forum des sociétés de journalistes, laissé en
l'état un audiovisuel public pourtant en piètre forme. Mais les autres
auraient-ils fait autre chose ?
Ces aimables palinodies ne sont pas
seulement plaisantes à décrypter. Elles illustrent une donnée
importante de la période : en temps de néolibéralisme, il ne peut y
avoir d'alternance « réformiste ». La mondialisation ne laisse plus
aucun espace vital à la social-démocratie, plus de grain à moudre aux
syndicats : nous sommes déjà à l'os de l'Etat-providence.
Trouver d'autres marges de manœuvre impose de construire
de nouvelles stratégies pour s'opposer à la logique du libre-échange
intégral, si possible au niveau européen : protéger le made in Europe
pour arrêter les délocalisations et la désertification industrielle,
réguler les immigrations pour arrêter une libre concurrence absolue sur
le marché du travail qui détruit le droit social, mettre en place et
stimuler les investissements européens en matière de défense et de
nouvelles technologies, défendre l'exception culturelle européenne face
aux menaces sur la propriété intellectuelle engendrées par le
développement du Web. Il faudrait donc convaincre nos partenaires, et
d'abord l'Allemagne, sur toutes les dimensions d'un revirement complet
de la politique de l'Union européenne. L'inquiétude nouvelle des
milieux d'affaires germaniques sur l'euro fort montre que ce n'est pas
impossible.
Mais un tel socle programmatique a, reconnaissons-le, peu
de chances de sortir des conclaves sur la rénovation du PS ou des
proclamations du Modem. Finalement, Besson, Cavada, Bockel et les
autres sont-ils des traîtres ou des éclaireurs ? Les deux, mon Général
!
Lundi 03 Décembre 2007 - 00:13
Philippe Cohen