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Mon Mulhouse2
1 décembre 2007

Faut-il punir le soldat Matelly ?

marianne2

Faut-il punir le soldat Matelly ?

Par Jean-Yves Fontaine, sociologue. La procédure disciplinaire engagée à l'encontre d'un officier supérieur de la gendarmerie questionne la pertinence du devoir de réserve dans l'armée.



Dans le but de maintenir à son plus haut niveau d'exigence l'efficacité et la qualité de son service, c'est dans le cadre légal de l'exercice de son pouvoir hiérarchique, dans celui du respect du statut des militaires de mars 2005 et du Règlement de Discipline Générale dans les Armées, que la gendarmerie, une des plus vieilles institutions militaires françaises, instruit régulièrement des dossiers disciplinaires à l'encontre de ses personnels rendus responsables de fautes rattachées à leur service et commises dans le cadre de leurs missions de sécurité publique. Voilà qui peut paraître quelque peu anodin et qui rentre dans l'activité normale d'une organisation qui veut préserver sa militarité et qui veille donc avec scrupule au respect des ordres donnés. Cependant, il est des cas où les circonstances dans lesquelles le dossier est instruit, ainsi que la qualité du militaire poursuivi, méritent une attention particulière, sans préjuger de l'opportunité des sanctions. En effet, la toute dernière procédure relayée par la Direction Générale de la Gendarmerie Nationale à l'encontre du Chef d'Escadron Jean-Hugues Matelly s'inscrit dans un conflit social ouvert et illustre le rapport de forces qui vient de s'installer.

Critiquer la gendarmerie : une décision inopportune

Il est reproché à cet officier supérieur, âgé de 42 ans, contrôleur de gestion pour la région Picardie, ancien rapporteur à la Commission des recours des militaires, commandant de la compagnie de Blois en 1998, de formation universitaire, juriste, docteur et chercheur en Sciences Politiques, auteur de nombreux articles et ouvrages (notamment un dernier livre intitulé Police. Des chiffres et des doutes qui aborde la question du traitement et de l'usage des statistiques en matière de délinquance) d'avoir exprimé deux points de vue critiques à l'égard de la conduite de la politique sociale au sein de la gendarmerie sur RTL, le 23 octobre et le 12 novembre derniers, et d'avoir signé un éditorial de nature revendicative publié en novembre dans l'Essor, journal corporatif des personnels de la gendarmerie. C'est bien évidemment en tant que gardien du temple que le Directeur Général de la Gendarmerie rappelle régulièrement et notamment le 9 novembre dernier que « depuis 2005, le droit d'expression des militaires a été profondément réformé : chacun est libre de s'exprimer à titre personnel pour peu qu'il le fasse en dehors du service et en respectant un devoir de réserve auxquels sont soumis, de la même façon, les fonctionnaires civils ».

Le porte-voix d'une contestation militaire doit se taire
Le Commandant Jean-Hugues Matelly, qui aurait enfreint cette règle, n'est donc pas un officier ordinaire dans le sens où sa formation, son expérience, ses réflexions, ses publications, sa forte personnalité et ses actes en ont fait récemment un véritable militant de la liberté d'expression et d'association des militaires ainsi que le porte-parole d'un mouvement social qui se structurerait au sein de l'institution. C'est toujours et systématiquement à titre personnel qu'il s'exprime, notamment sur le forum Internet Gendarmes & Citoyens (G&C) qu'il a contribué avec d'autres gendarmes à construire, site qui se présente comme une véritable force de propositions, qui semble réunir tous les attributs d'un proto syndicat (des militants, une direction, une doctrine, un programme, une plate-forme, une arène, des mots d'ordres) et sur lequel les personnels de la gendarmerie se réunissent virtuellement et quotidiennement en nombre toujours plus important. Ce vecteur électronique représente à leurs yeux l'unique moyen d'exprimer efficacement des revendications corporatives qui s'articulent autour de la parité avec leurs homologues de la Police Nationale avec lesquels ils s'estiment être en décalage. En punissant le soldat Matelly, ce conflit prend désormais une toute autre dimension : un officier supérieur de gendarmerie se retrouve propulsé ipso facto au centre d'un système revendicatif pour devenir le leader militaire d'un mouvement de contestation militaire.

Une procédure aux motifs douteux

C'est donc parce qu'elle intervient dans un contexte social particulièrement tendu que cette demande de sanction disciplinaire peut avoir des conséquences tout aussi heureuses que malheureuses. En premier lieu, elle tend à légitimer l'existence d'une ligne directrice dont serait doté le mouvement et elle en identifierait, en le personnalisant clairement, le chef de file : le soldat Matelly serait donc poursuivi et puni pour la cause. En second lieu, dans une pure logique militaire, le pari est fait qu'en punissant le chef, les subordonnés abandonneront le navire et se sépareront du soldat perdu, stratégie qui peut porter ses fruits : les gendarmes gardent profondément ancrée au fond d'eux-mêmes une très forte culture militaire. Sans chef ou avec un chef désavoué, décrédibilisé, sanctionné, stigmatisé, la troupe peut douter et revenir sagement dans le rang car avant d'être une organisation et un appareil, la gendarmerie est avant tout une véritable institution construite sur le très haut degré de militarité de ses personnels. En troisième lieu, ne pourrait-on pas y voir plutôt comme l'adoubement officieux du commandant Matelly en tant que meneur afin de mieux canaliser le mécontentement et éviter les dérapages et les débordements ? En quatrième lieu, ne voudrait-on pas tout simplement pousser les gendarmes dans la rue et régler ainsi une bonne fois pour toute le problème gendarmerie qui embarrasse l'Armée de Terre et qui agace la Police Nationale ? En dernier lieu enfin, et si, en effet, le site G&C participe à la construction d'une conscience sociale gendarmique en centralisant l'action revendicative, en posant des pistes et des projets fédérateurs et même si, désormais, le Commandant Jean-Hugues Matelly y occupe une place centrale, l'épée de la réalité sociale reste suspendue au dessus de la tête des proto syndicalistes : G&C reste essentiellement virtuel et le passage au réel demeure le handicap majeur sur lequel certains comptent pour maintenir encore l'emprise sur les esprits et sur les corps. Quant au soldat Matelly, il reste un leader encore trop lointain des personnels de la gendarmerie qui n'ont de lui qu'une projection virtuelle et donc une représentation idéalisée, le terrain de la réalité sociale étant toujours tenu par la Direction Générale qui aurait récemment interdit à l'officier l'accès aux organes de concertation ( le CSFM/CFMG réuni à Satory en réunion préparatoire ).

Devant la forte capacité de mobilisation des personnels qu'elle veut toujours contrôler et alors que pendant la semaine qui vient commence (si le calendrier est maintenu pour cause d'émeute urbaine) une nouvelle session du CSFM/CFMG (Conseil supérieur de la fonction militaire) suivie d'une intervention tant attendue du président de la République, pendant combien de temps encore la gendarmerie réussira-t-elle à maintenir le strict respect de l'obligation de réserve de ses militaires, à faire obstacle à la nécessaire liberté d'expression qui est déjà une réalité et interdire l'inéluctable liberté d'association ?


Samedi 01 Décembre 2007 - 00:03

Jean-Yves Fontaine

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