Faut-il punir le soldat Matelly ?
Faut-il punir le soldat Matelly ?
Dans le but de maintenir à son plus haut niveau d'exigence l'efficacité
et la qualité de son service, c'est dans le cadre légal de l'exercice
de son pouvoir hiérarchique, dans celui du respect du statut des
militaires de mars 2005 et du Règlement de Discipline Générale dans les
Armées, que la gendarmerie, une des plus vieilles institutions
militaires françaises, instruit régulièrement des dossiers
disciplinaires à l'encontre de ses personnels rendus responsables de
fautes rattachées à leur service et commises dans le cadre de leurs
missions de sécurité publique. Voilà qui peut paraître quelque peu
anodin et qui rentre dans l'activité normale d'une organisation qui
veut préserver sa militarité et qui veille donc avec scrupule au
respect des ordres donnés. Cependant, il est des cas où les
circonstances dans lesquelles le dossier est instruit, ainsi que la
qualité du militaire poursuivi, méritent une attention particulière,
sans préjuger de l'opportunité des sanctions. En effet, la toute
dernière procédure relayée par la Direction Générale de la Gendarmerie
Nationale à l'encontre du Chef d'Escadron Jean-Hugues Matelly s'inscrit
dans un conflit social ouvert et illustre le rapport de forces qui
vient de s'installer.
Critiquer la gendarmerie : une décision inopportune
Il est reproché à cet officier supérieur, âgé de 42 ans, contrôleur de
gestion pour la région Picardie, ancien rapporteur à la Commission des
recours des militaires, commandant de la compagnie de Blois en 1998, de
formation universitaire, juriste, docteur et chercheur en Sciences
Politiques, auteur de nombreux articles et ouvrages (notamment un
dernier livre intitulé Police. Des chiffres et des doutes qui aborde la
question du traitement et de l'usage des statistiques en matière de
délinquance) d'avoir exprimé deux points de vue critiques à l'égard de
la conduite de la politique sociale au sein de la gendarmerie sur RTL,
le 23 octobre et le 12 novembre derniers, et d'avoir signé un éditorial
de nature revendicative publié en novembre dans l'Essor, journal
corporatif des personnels de la gendarmerie. C'est bien évidemment en
tant que gardien du temple que le Directeur Général de la Gendarmerie
rappelle régulièrement et notamment le 9 novembre dernier que « depuis
2005, le droit d'expression des militaires a été profondément réformé :
chacun est libre de s'exprimer à titre personnel pour peu qu'il le
fasse en dehors du service et en respectant un devoir de réserve
auxquels sont soumis, de la même façon, les fonctionnaires civils ».
Le porte-voix d'une contestation militaire doit se taire
Le Commandant Jean-Hugues Matelly, qui aurait enfreint cette règle,
n'est donc pas un officier ordinaire dans le sens où sa formation, son
expérience, ses réflexions, ses publications, sa forte personnalité et
ses actes en ont fait récemment un véritable militant de la liberté
d'expression et d'association des militaires ainsi que le porte-parole
d'un mouvement social qui se structurerait au sein de l'institution.
C'est toujours et systématiquement à titre personnel qu'il s'exprime,
notamment sur le forum Internet Gendarmes & Citoyens (G&C)
qu'il a contribué avec d'autres gendarmes à construire, site qui se
présente comme une véritable force de propositions, qui semble réunir
tous les attributs d'un proto syndicat (des militants, une direction,
une doctrine, un programme, une plate-forme, une arène, des mots
d'ordres) et sur lequel les personnels de la gendarmerie se réunissent
virtuellement et quotidiennement en nombre toujours plus important. Ce
vecteur électronique représente à leurs yeux l'unique moyen d'exprimer
efficacement des revendications corporatives qui s'articulent autour de
la parité avec leurs homologues de la Police Nationale avec lesquels
ils s'estiment être en décalage. En punissant le soldat Matelly, ce
conflit prend désormais une toute autre dimension : un officier
supérieur de gendarmerie se retrouve propulsé ipso facto au centre d'un
système revendicatif pour devenir le leader militaire d'un mouvement de
contestation militaire.
Une procédure aux motifs douteux
C'est donc parce qu'elle intervient dans un contexte social
particulièrement tendu que cette demande de sanction disciplinaire peut
avoir des conséquences tout aussi heureuses que malheureuses. En
premier lieu, elle tend à légitimer l'existence d'une ligne directrice
dont serait doté le mouvement et elle en identifierait, en le
personnalisant clairement, le chef de file : le soldat Matelly serait
donc poursuivi et puni pour la cause. En second lieu, dans une pure
logique militaire, le pari est fait qu'en punissant le chef, les
subordonnés abandonneront le navire et se sépareront du soldat perdu,
stratégie qui peut porter ses fruits : les gendarmes gardent
profondément ancrée au fond d'eux-mêmes une très forte culture
militaire. Sans chef ou avec un chef désavoué, décrédibilisé,
sanctionné, stigmatisé, la troupe peut douter et revenir sagement dans
le rang car avant d'être une organisation et un appareil, la
gendarmerie est avant tout une véritable institution construite sur le
très haut degré de militarité de ses personnels. En troisième lieu, ne
pourrait-on pas y voir plutôt comme l'adoubement officieux du
commandant Matelly en tant que meneur afin de mieux canaliser le
mécontentement et éviter les dérapages et les débordements ? En
quatrième lieu, ne voudrait-on pas tout simplement pousser les
gendarmes dans la rue et régler ainsi une bonne fois pour toute le
problème gendarmerie qui embarrasse l'Armée de Terre et qui agace la
Police Nationale ? En dernier lieu enfin, et si, en effet, le site
G&C participe à la construction d'une conscience sociale
gendarmique en centralisant l'action revendicative, en posant des
pistes et des projets fédérateurs et même si, désormais, le Commandant
Jean-Hugues Matelly y occupe une place centrale, l'épée de la réalité
sociale reste suspendue au dessus de la tête des proto syndicalistes :
G&C reste essentiellement virtuel et le passage au réel demeure le
handicap majeur sur lequel certains comptent pour maintenir encore
l'emprise sur les esprits et sur les corps. Quant au soldat Matelly, il
reste un leader encore trop lointain des personnels de la gendarmerie
qui n'ont de lui qu'une projection virtuelle et donc une représentation
idéalisée, le terrain de la réalité sociale étant toujours tenu par la
Direction Générale qui aurait récemment interdit à l'officier l'accès
aux organes de concertation ( le CSFM/CFMG réuni à Satory en réunion
préparatoire ).
Devant la forte capacité de
mobilisation des personnels qu'elle veut toujours contrôler et alors
que pendant la semaine qui vient commence (si le calendrier est
maintenu pour cause d'émeute urbaine) une nouvelle session du CSFM/CFMG
(Conseil supérieur de la fonction militaire) suivie d'une intervention
tant attendue du président de la République, pendant combien de temps
encore la gendarmerie réussira-t-elle à maintenir le strict respect de
l'obligation de réserve de ses militaires, à faire obstacle à la
nécessaire liberté d'expression qui est déjà une réalité et interdire
l'inéluctable liberté d'association ?
Samedi 01 Décembre 2007 - 00:03
Jean-Yves Fontaine