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Mon Mulhouse2
30 novembre 2007

Suite française (2) De la difficulté à être du socialisme français

marianne2

Suite française (2) De la difficulté à être du socialisme français

Par Paul Thibaud. Où les tribulations du PS trouvent quelque éclaircissement dans ses origines.



Le débauchage de quelques vedettes de la gauche par Sarkozy a fait jaser. Mais cet épisode plutôt cocasse est aggravé par l'incapacité du PS à se déterminer sur tous les sujets : Traité européen, immigration, retraites… Il ne s'agit pas, pressent-on, d'une mauvaise passe, mais de la manifestation, un peu comme les désaccords entre Wallons et Flamands, d'une faiblesse organique qu'auparavant on savait gérer, dont on s'est parfois fait un atout, alors qu'elle n'engendre plus désormais que découragement.

Une candidature maternaliste
Ségolène Royal a sauvé les apparences pour les socialistes lors de la dernière élection présidentielle. Ses rivaux auraient moins bien réussi à limiter la fuite des électeurs vers l'extrême gauche ou vers le centre. Mais sa campagne a révélé l'instabilité de l'amalgame de valeurs qui est le socle du Parti socialiste. Cette candidature féminine qui était a priori une bonne affaire a pris une tonalité maternaliste où l'on a discerné des infiltrations surprenantes, d'autant plus inquiétantes qu'elles séduisaient : tout un refoulé d'ordre moral, de patriotisme et même des relents chrétiens. Le PS peine à se remettre de s'être laissé aller à de tels aveux. Peut-on après cela continuer comme devant ? Comment démentir ce faux pas ? Ou, à défaut, comment l'assumer ? À droite la perturbation Sarkozy ne concerne plus guère qu'un style, des fiertés, que l'on ne soutenait que par devoir. À gauche, c'est bien l'identité qui est en cause.

Cette situation suscite des commentaires d'une banalité décourageante sur la nécessité pour les socialistes français de faire enfin « leur Bade Godesberg », et de rompre avec leur vieille habitude d'annoncer le contraire de ce qu'ils feront au pouvoir puis d'oublier ce qu'ils y ont fait. Certes, mais pourquoi donc nos socialistes sont-ils depuis si longtemps obstinément rétifs à l'idée de faire leur « aggiornamento » ?

Complicité inévitable mais alliance impossible

La difficulté d'assumer son réformisme gouvernemental est, chez les socialistes français plus qu'un trait de caractère. C'est un état de nature qui tient aux conditions dans lesquelles est né chez nous le socialisme organisé sous forme de parti, à la fin des années 1870. Cet accouchement s'est produit dans des conditions difficiles, à cause de l'avance française en Europe pour ce qui est de l'établissement de la démocratie. D'une part la bourgeoisie républicaine (Ferry, Gambetta…) occupait solidement le terrain, elle avait renversé l'Ancien Régime et fondé la République, obtenu un suffrage universel auquel ni les Allemands ni les Anglais n'étaient près d'accéder. Mais, d'autre part, hantée par le souvenir de juin 48 et de la Commune, la classe dirigeante était conservatrice, bien plus réticente que Bismarck à accorder des droits sociaux. Résultat : les socialistes se trouvent, volentes nolentes, solidaires en politique (contre la droite traditionaliste, boulangiste, anti-dreyfusarde…) de gens qui sont, socialement, leurs adversaires. D'où le paradoxe suivant : la complicité est inévitable, mais l'alliance impossible. Jaurès l'analysait très bien en 1889 : « i[Le parti ouvrier [guesdiste] a proclamé tout d'abord comme un dogme le principe de la lutte des classes et il a été obligé ensuite de nier ce principe par toute sa conduite »]i.

Cette schizophrénie entre le point de vue de l'identité et celui de la participation politique, les socialistes français en sont-ils jamais sortis ? Elle ne les pas lâchés, obligeant leurs leaders à toutes les conciliations et les contorsions. Pour diriger ce parti si intimement divisé, il fallait forcément emprunter des voies obliques. Ainsi Jaurès chef de la majorité de gauche dut désavouer Briand, Viviani et Millerand pour leur participation à des gouvernements qu'il soutenait ; plus tard il tolérera la propagande anti-patriotique de Gustave Hervé. Ainsi, en 1936, Blum se considère non pas comme exerçant le pouvoir mais l'occupant dans une sorte d'intérim. Il a fallu la Libération et ensuite la guerre froide pour que le Parti socialiste s'assume comme parti de gouvernement.

La ruse obligée
La situation originelle du Parti socialiste est celle d'être un allié malgré lui de la gauche républicaine, incité à participer au pouvoir mais empêché ontologiquement de le faire. De ce point de départ résultent des traits constants de ce parti. Il est remarquable en particulier que les dirigeants qui l'ont marqué (Jaurès, Blum, Mitterrand) lui sont arrivés de l'extérieur. Avant Jospin et Hollande, la vie interne du parti n'avait fait émerger qu'un seul dirigeant, Guy Mollet. Comme s'il fallait ne pas en être pour diriger ce parti, comme si le parti devait sortir de lui-même pour exister utilement dans la politique française. Il est donc logique que le dirigeant socialiste soit astreint à des acrobaties par lesquelles le « parler vrai » supporte des entorses, car son rôle est celui d'un médiateur entre plusieurs niveaux de réalité. Cette médiation peut être assurée avec noblesse ou bien avec cynisme, mais on ne gouverne pas un tel parti sans ruse, et surtout pas - Michel Rocard l'a appris à ses dépens - en affichant sa conviction d'avoir raison. Mieux vaut jouer sur les ambiguïtés, équilibrer rhétoriquement les contraires à la manière de Jospin, et même dissimuler sa supériorité sous les flatteries comme savait le faire Jaurès, non sans indigner Péguy.

Cette filiation et cette expérience ont engendré beaucoup de difficultés pour le PS à rendre compte de ce qu'il fait. Il a provoqué en outre une confusion souvent hostile dans les rapports humains, particulièrement l'amertume, voire le ressentiment de ceux qui se sont vu sacrifiés pour avoir perturbé un complexe d'ambiguïtés et d'inéclaircissements qui était la manière d'être de ce parti. Ayant pris leurs distances par désir de clarté, ces révisionnistes se sont plus d'une fois fourvoyés ensuite par dégoût d'anciennes camaraderies polluées par les dissimulations complaisantes. On sait où ce dégoût a conduit des hommes pas spécialement malhonnêtes comme Déat ou Spinasse (Ministre de l'économie du Front Populaire). On voit actuellement, mêlé à la simple ambition, quelque chose de ce rejet de conventions intellectuelles et morales pesantes et dérisoires chez des gens comme Eric Besson ou Bernard Kouchner.

Leur destin suggère que la difficulté d'être soi-même perdure dans notre parti socialiste. L'union de la gauche anti-communiste machinée par Mitterrand n'a en effet pas mis fin à la dualité d'origine, qui recommande d'être l'ennemi de celui auquel on est contraint de s'allier. Elle en a même été le comble, attirant l'allié dans le piège de la gouvernance où il se dissoudrait comme une mouche dans l'orifice gluant d'une plante carnivore. Mais le coût de cette manœuvre victorieuse a rendu encore plus difficile les éclaircissements qu'au sortir de la Guerre d'Algérie on croyait inévitables.

Du statu quo dans l'hésitation, François Hollande est le champion. De l'immaîtrisé, du non reconnu qui fermente en dessous, Ségolène Royal a été la messagère instinctive, semi conscient. Mais ce qui est nouveau dans cette situation est l'absence de passion, l'usure des idées et des sentiments dont on ne se détache pas. L'absence de polémique est un symptôme grave : ne sont présents ni l'espoir de surmonter les contradictions, ni le talent de les faire miroiter comme une richesse à exploiter. Ne reste que la pure perplexité. Peu de choses ont changé mais tout s'est usé. Cela donne à penser que c'est une histoire qui se termine… avant nouvelle fondation.


Vendredi 30 Novembre 2007 - 00:40

Paul Thibaud

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