PS blues (2) : le PS, un syndicat d'élus ?
PS blues (2) : le PS, un syndicat d'élus ?
Jean-Pierre Le Goff, philosophe et sociologue, préside le club «
politique autrement » dont les travaux portent sur les conditions d'un
renouveau de la démocratie et de la citoyenneté. L'auteur, entre
autres, de Mai 68, un héritage impossible (La Découverte) et d'un autre ouvrage à sortir en janvier, La France morcelée (Gallimard) livre ses analyses sur la crise du Parti socialiste.
Le PS vit-il une crise profonde ou traverse-t-il simplement un moment difficile de blues post-défaite électorale ?
Jean-Pierre Le Goff :
Les socialistes vivent une crise qui dure en réalité depuis très
longtemps. Un moment historique a été raté. La question est : est-il
trop tard pour qu'ils se reprennent en main ? Le problème trouve sa
source dans un discours caoutchouc sur la question sociale et la
démocratie qui commence avec le mitterrandisme, et plus précisément
avec le tournant économique, dit « tournant de la rigueur », de 1984.
Mitterrand explique alors dans une interview à Serge July « l'objectif
a changé, mais on est restés les mêmes ». En réalité, le parti n'a pas
su penser la mort du mouvement ouvrier comme sujet historique. Il s'est
enfoncé dans un discours pragmatique, il a intégré le gauchisme
post-soixante-huitard, dont Jack Lang est une figure, sans jamais se
questionner sur la doctrine première, en phase avec le mouvement
ouvrier. Leur discours est devenu de moins en moins lisible.
Est-ce qu'on ne pourrait pas aussi parler de crise doctrinale à droite…
Si, bien sûr ! L'UMP est très divisée. Sous Sarkozy, le corps de
doctrine de la droite est complètement occulté, à commencer par le
gaullisme comme vision historique du monde. Nicolas Sarkozy ne peut
tenir qu'en courrant après chaque objectif, sans jamais s'arrêter. La
haine qui existe à l'intérieur de la droite vaut largement celle qui
existe au sein de la gauche. Mais le problème des socialistes, c'est
qu'ils prennent des leçons de réel à reculons. Ils réfléchissent
toujours après. Sur la question de la sécurité, par exemple, il a fallu
des années avant de voir émerger des discours de gauche qui mettent en
question le rousseauisme soixante-huitard. Et depuis, il patouillent et
n'y arrivent pas.
Peut-on espérer que les nouvelles têtes qu'on voit émerger au parti apportent des grilles d'analyse innovantes ?
Il y a problème générationnel, mais cela ne tient pas seulement à une
lutte des vieux contre les jeunes. Sarkozy, à certains égards, incarne
la jeune génération en ce qu'il a totalement intégré l'idée que le
management pouvait supplanter les grandes idéologies. Pour le PS, se
contenter du seul management est plus compliqué à cause de cette
générosité qui fait de la gauche ce qu'elle est et de cette volonté de
se cogner les problèmes les plus compliqués de la société. Avec une
petite boîte à outils, on ne s'en sort pas. Or au PS on ne sait plus
penser en terme d'analyse objective, de querelles entre grands
courants: tout est réduit à l'individu. Les luttes pour le pouvoir
l'illustrent bien. Mais je ne dis pas qu'aucun d'eux n'a consience de
ce problème. Il y en a, malgré tout, qui construisent de vraies
pensées. Je pense à Fabius, on pourrait aussi citer Valls…
Mais justement, vous venez de citer
deux personnalités qui proposent des projets de société très
différents. Au fond, qu'est-ce qui rassemble encore les socialistes, en
dépit de leurs différences ?
Cela tient à ce que le PS est devenu un syndicat d'élus, un
rassemblement de gens qui des intérêts communs, qui sont soudés
électoralement. De là s'explique leur capacité de « synthèse » qui,
comme on le voit à chaque Congrès, ne sont pas tristes !
Est-ce que le travail de refonte idéologique dont vous parlez peut sans faire en l'absence d'un leader ?
Non, le leader est nécessaire. Mais là aussi, il faut se défaire d'un
idéal soixante-huitard qui empêche les leaders de gauche de s'affirmer
comme des forces de proposition. Nicolas Sarkozy n'a cessé de
s'affirmer pendant la campagne. Son message était « moi, c'est moi, et
je suis plus que vous, c'est d'ailleurs pourquoi je vais pouvoir vous
aider. » Mais le message de Ségolène Royal, c'est de dire « moi, c'est
vous ». Elle, a cru qu'elle pouvait à la fois affirmer son leadership
et répondre à un idéal de transparence démocratique, par la démocratie
participative. On ne peut pas tenir cette double posture.
Vendredi 30 Novembre 2007 - 09:06
A. Borrel